Semaine décisive pour la jeune Rachida El Kouki… Reconnue coupable pour «incendie prémédité dans un lieu d’habitation», la jeune femme qui a été condamnée à perpétuité devrait être fixée sur son sort. Derrière le nom de Rachida El Kouki, se dessine le calvaire vécu par des centaines de femmes de ménage. Mais son cas est particulier : car à sa condition et à son travail précaires, s’est rajouté un malheur : celui d’être la domestique des Trabelsi.
«Ce dossier est un exemple de violations des Droits de l’Homme en général et des femmes de ménage en particulier», estime Me Hayet Jazzar. En dernier recours, l’avocate de l’Association tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) a déposé une demande de grâce. Et à l’heure où nous mettons sous presse, ni réponse, ni même une esquisse de réponse n’ont été données par les autorités et notamment la Présidence. Depuis la médiatisation de l’affaire, l’entourage comme les soutiens de Rachida El Kouki se prennent à espérer. Sa libération serait possible. Pourtant, sa mère, Saida, ne peut cacher ses pleurs et son désarroi. Sa peur également. A ce jour, elle reçoit des menaces de mort et des appels anonymes. Son visage fatigué se tord de douleur quand elle est invitée à raconter son histoire. Il est souvent difficile de gérer émotionnellement certains souvenirs.
Certains sont particulièrement vivaces, comme celui de voir partir sa fille en 2003, après avoir trouvé un emploi de femme de ménage, sans se douter du destin qui l’attend. En effet, près de cinq ans après, elle est de retour au bercail. Accompagnée de son patron et d’une femme qui la talonne, scrute ses moindres faits et gestes, elle parvient à lui glisser à l’oreille, au cours d’un moment de répit, la phrase fatidique : «maman oublie moi, je travaille chez les Trabelsi».
Le mauvais sort de Rachida
«J’ai longtemps travaillé dans un centre d’écoute depuis une vingtaine d’années. Mais ce cas m’a mis dans tous mes états. Lorsque j’ai rencontré pour la première fois Rachida El Kouki, je n’ai pas pu supporter ce que j’ai entendu», a confié Me Hayet Jazzar. Tout a commencé lorsqu’une femme désespérée est venue au siège de l’ATFD raconter le calvaire de sa fille, aujourd’hui en prison. Et l’histoire confirmée par cette dernière fait froid dans le dos. Rachida El Kouki avait 20 ans lorsqu’elle a été embauchée chez Mohamed (fils de Moncef) et Inès Trabelsi. Le couple venait alors de se marier. Et si les conditions de travail étaient difficiles, au début, sa tâche était plutôt commune. Mais voilà qu’un évènement bouleverse sa vie : Inès donne naissance à un fils. Le diagnostic médical ne laisse place à aucun doute : il est autiste. Lasse, la mère confie rapidement «l’enfant difficile» à la jeune femme. Dès lors, un lien se noue entre Rachida et l’enfant, lien qu’elle «paiera» de sa vie. Mobilisée vingt-quatre heures sur vingt-quatre, elle doit obéir aux ordres, être constamment à ses côtés. Dans le cas contraire, elle s’expose aux pires violences. Frappée à coups de poings, étouffée avec un oreiller, elle est parfois emmenée —comble de l’humiliation— au poste de police afin de recevoir son châtiment sous les yeux de son patron. Rachida ne baisse pas les bras. A deux reprises, elle tente de fuir. La première fois, elle est stoppée net par la police à la station de louages. La deuxième, elle parvient à son village (Bou Salem). Les Trabelsi ne pardonneront jamais cet affront. La famille entière en paiera les frais.
La lueur d’espoir
La famille bascule donc dans cet univers mafieux à la deuxième tentative d’évasion. Les Trabelsi viennent en personne, pour mettre leurs menaces à exécution. Rachida est accusée de vol de bijoux. Ils posent deux conditions au retrait de la plainte : le retour de la jeune fille et la vente (à un prix symbolique) du lopin de terre familial situé au Séjoumi. Les Kouki doivent se résigner à accepter, mais la domestique reste déterminée à mettre un terme à son esclavage. L’idée de son salut lui vient grâce à un incident : un court-circuit dans l’une des chambres rapidement maîtrisé par les gardes de la maison. Rachida en fera de même…et de toutes les manières, pense-t-elle alors, «la prison pour femmes est meilleure que la prison des Trabelsi». Elle brûle un tapis. Comme la première fois, le feu est rapidement maîtrisé mais elle paiera cher son geste désespéré. «L’enquête policière a été bâclée, révèle son avocate. La justice n’a pas respecté les droits de la défense. En tant que pyromane, Rachida aurait pu être soumise à un test psychiatrique». Pire, non seulement les procès sont expéditifs mais la jeune femme est également reconnue coupable du premier court-circuit. Elle est condamnée conformément à l’article 307 du code pénal pour «mise à feu volontaire». La peine la plus lourde, la perpétuité, lui est appliquée. Au terme d’une longue procédure, la Cour la condamne à cinq ans de prison dans l’affaire «du tapis» et procède à un cumul des peines. Dès lors, il ne reste qu’une solution : une demande de grâce, formulée le 18 juillet, au Président de la République. «Nous lions ce dossier à la justice transitionnelle, estime pour sa part, Ahlem Belhaj, la présidente de l’ATFD. N’oublions pas que de «simples citoyens» tunisiens, sont aussi victimes de ces injustices». De fait, la priorité actuelle est la libération de Rachida. Ensuite, l’association compte «déposer plainte contre tout individu qui a été à l’origine de ces tortures».
Azza Turki