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D’habitude déjà installées à cette période de l’année, les maladies virales de l’hiver semblent être aux abonnés absents.
Et le coronavirus n’y est pas pour rien.
Grippe, gastro, bronchiolite : dans le monde avant Covid, ce sont elles, les maladies virales de l’hiver, que l’on redoutait d’attraper. Mais aujourd’hui, avec un quotidien régi par les restrictions imposées par la crise sanitaire du coronavirus, on en oublierait presque qu’elles existent. Un oubli d’autant plus accentué que pour l’heure, ces maladies qui sèment toux et diarrhées chez les grands comme les petits ne se sont toujours pas déclarées.
Peut-on en déduire que l’épidémie de Covid-19 a tué dans l’œuf les autres épidémies virales ? Par quels mécanismes ? Et faut-il s’attendre à un boom épidémique de ces maladies virales après les fêtes du nouvel an ?
Avant d’arriver sous nos latitudes au cœur de l’hiver, les épidémies de maladies virales comme la grippe se déclenchent d’abord en plein été dans l’hémisphère sud où, de l’autre côté de la planète, c’est l’hiver austral. Sauf que cette année, que ce soit en Australie, en Afrique du Sud, au Chili ou partout ailleurs dans la moitié sud, rien.
« Cet été, il aurait dû y avoir des épidémies de virus grippaux dans l’hémisphère sud, sauf qu’il n’y en a eu aucune dans le monde, confirme Vincent Enouf, virologue et directeur adjoint du Centre National français de référence (CNR) des virus des infections respiratoires – dont la grippe – à l’Institut Pasteur. Il n’y a eu qu’une poignée de cas de virus grippaux. C’est totalement inédit : cela ne s’était jamais produit depuis que l’on surveille la grippe, souligne le virologue. Et cela ne concerne pas que les virus grippaux, mais d’autres maladies comme le virus respiratoire syncytial (VRS), responsable de la bronchiolite chez les tout-petits. Il n’y en a pas eu non plus cet été, ni de méningites, détaille-t-il. On l’observe actuellement : les virus que l’on retrouve traditionnellement l’hiver sont absents ».
Même constat sur le terrain. « C’est variable d’une année sur l’autre, mais la bronchiolite arrive généralement dès octobre, et là, il n’y a pas d’épidémie. On a vu très peu de cas dans nos cabinets de médecine de ville, et il semble que dans les hôpitaux, le VRS soit quasiment absent, selon les informations communiquées par nos collègues, confirme le Dr Sylvie Hubinois, pédiatre en Ile-de-France et ancienne présidente de l’Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA). On note également qu’il y a moins de gastro-entérites. La situation est beaucoup plus calme que l’année dernière sur le front des urgences pédiatriques liées aux maladies virales».
*Une question d’écologie virale
Comment expliquer ce calme ? Il semblerait que « l’écologie virale joue sans doute un rôle, avance Vincent Enouf. Cela se traduit par une forme de concurrence entre les virus, qui est difficilement explicable en termes de causes, mais que l’on observe très concrètement en ce moment ». Et sans doute déjà l’hiver dernier, puisque « l’épidémie de grippe avait pris fin au moment de l’arrivée du Covid-19 », rappelle le virologue.
20 Minutes s’était déjà posé la question, l’hiver dernier, de savoir si l’arrivée du Covid-19 avait pu limiter la propagation du virus de la grippe. « Oui, nous répondait alors le Pr Bruno Lina, professeur de virologie aux Hospices civils de Lyon, membre du Conseil scientifique et directeur du CNR des virus respiratoires pour le sud de la France. Maintenant que le coronavirus est implanté sur le territoire, il y a une concurrence entre les deux virus. On parle ainsi d’interférence virale : quand deux virus épidémiques circulent en même temps, sur un même territoire et ciblent la même population, ils s’opposent, et c’est le virus qui a le potentiel de croissance le plus important qui prend le dessus », exposait-il.
L’épidémie de grippe « aurait-elle pris fin plus tardivement sans cela ? On ne le saura peut-être jamais, ajoute Vincent Enouf. Mais on a vu qu’elle s’était arrêtée plus tôt que les années précédentes ».
*Les gestes barrières respectés comme jamais
Cette interférence virale n’est pas la seule réponse. « L’explication est multifactorielle, mais les mesures barrières y sont évidemment pour beaucoup », souligne Vincent Enouf. Car depuis le début de l’épidémie de coronavirus, les gens se sont massivement convertis aux gestes barrières.
Et il y a un an à peine, le masque, c’était plutôt dans un épisode de Grey’s Anatomy, ou, plus rarement in real life, en croisant un touriste étranger dans les grands magasins. Si les Taïwanais, Japonais ou Sud-Coréens ont pris l’habitude de sortir masqués depuis plusieurs années, en mars dernier en France, alors que la première vague déferlait, les gens étaient encore nombreux à se masser dans les bus et métro bondés de bombes bactériologiques ambulantes, toussant et semant leurs miasmes aux quatre vents. « C’est certain, auparavant, les gestes barrières étaient trop peu respectés, ce n’était pas suffisamment un réflexe, pointe le virologue. En quelques mois, les habitudes ont radicalement changé et cela produit des effets indéniables. Déjà, on a une population mondiale qui a une immunité de groupe face aux virus grippaux. Mais aujourd’hui, la combinaison de cette immunité avec le respect des gestes barrières fait que la diffusion des virus respiratoires et des autres pathogènes est très limitée voire quasi impossible, puisqu’on n’en détecte pas ! C’est pour cela qu’il serait bon de garder ces habitudes même quand on sera débarrassé du Covid-19, au moins durant l’hiver ».
*Une vaccination anti-grippe record en 2020
Autre fait inédit cette année : alors qu’elle est habituellement boudée, la vaccination contre la grippe a été plébiscitée comme jamais pour cet hiver 2020/2021, au point de voir les pharmacies en pénurie de vaccins dès le lancement de la campagne. « Beaucoup plus de personnes se sont fait vacciner par peur de la double circulation de la grippe et du Covid-19 et c’est une très bonne chose, se réjouit Vincent Enouf. Mais si on regarde l’hémisphère sud cet été, il n’y a pas eu plus de recours à la vaccination antigrippale et il n’y a pas eu de diffusion du virus. Le recours à la vaccination antigrippe n’est à mon sens pas le facteur majeur qui explique aujourd’hui que les virus ne circulent pas. En revanche, elle peut aider à contrecarrer le virus de la grippe, c’est certain ».
Une bonne nouvelle alors que les médecins redoutent une troisième vague de coronavirus après les fêtes de fin d’année, qui pourrait se doubler d’autres épidémies virales.
On voit habituellement, au moment des fêtes, une recrudescence des cas de bronchiolite quand la maladie circule encore à cette période de l’année, ainsi qu’une forte augmentation des cas de gastro-entérite et de syndromes grippaux. Tous ces virus ont tendance à repartir du fait des rassemblements. Donc on peut craindre que ce soit la même chose cette année. Avec le coronavirus en prime ! », conclut le Dr Hubinois.
(20Minutes)