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Si les laboratoires ont déjà commencé des essais cliniques, la vaccination des enfants contre le Covid-19 ne fait pas l’unanimité chez les professionnels.
Au fil des mois, la vaccination contre le Covid-19 s’élargit à de nouvelles catégories de personnes. À son commencement, en France, elle ne s’adressait qu’aux résidents et personnels des Ehpad. Début avril, elle devrait concerner tous les les plus de 65 ans. Emmanuel Macron a assuré début février que tous les Français adultes pourront se faire vacciner « d’ici la fin de l’été » 2021. Quid des enfants ?
S’ils constituent une part importante de la population, ces derniers sont moins exposés aux cas graves de la maladie, tout en la transmettant moins pour les plus jeunes d’entre eux. Leur vaccination n’a donc jusqu’ici pas été une priorité. La question prendra certainement de l’ampleur quand suffisamment de doses seront disponibles et que les adultes seront vaccinés. Pour certains professionnels, cette étape est considérée comme nécessaire pour arriver à mettre un terme à la pandémie. Mais tous ne sont pas d’accord.
*Des essais en cours
Preuve que le sujet existe, l’entreprise américaine Moderna a annoncé mardi avoir commencé des essais de son vaccin contre le Covid-19 sur des milliers d’enfants âgés de 6 mois à 11 ans. Cet essai clinique concerne un total prévu de 6750 enfants aux États-Unis et au Canada, a précisé le laboratoire, qui produit déjà pour les adultes un vaccin anti-Covid administré en deux injections séparées de quatre semaines.
Leur nombre est inférieur aux dizaines de milliers de recrues pour les essais sur les adultes, car il s’agit ici surtout de déterminer quel dosage est le mieux adapté pour eux, expliquent des experts. Le mécanisme du vaccin en lui-même, ainsi que sa sûreté, ont déjà été étudiés.
Actuellement, le vaccin anti-Covid de Pfizer est autorisé pour les personnes âgées de 16 ans et plus, et ceux de Moderna et de Johnson & Johnson pour les 18 ans et plus. Mais les trois entreprises américaines ont déjà commencé, parfois depuis plusieurs mois, des essais cliniques pour tester leur vaccin sur les adolescents, à partir de 12 ans. D’autres essais du vaccin de Moderna sont en cours depuis décembre sur les adolescents âgés de 12 à 18 ans. Et AstraZeneca étudie de son côté l’effet de son vaccin dès 6 ans.
* »Haute priorité »
Selon le très respecté immunologue Anthony Fauci, les enfants américains de moins de 12 ans pourront « très probablement » être vaccinés début 2022, avait-il déclaré le mois dernier. Mardi, il a assuré que les vaccinations pourraient commencer dès l’automne, comme le relève le Wall Street Journal.
« Je considère qu’il s’agit bien d’une haute priorité », a estimé auprès de l’AFP Lee Savio Beers, la présidente de l’American Academy of Pediatrics. « Les enfants de moins de 10 ans transmettent moins le virus, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne le transmettent pas du tout », y compris à des personnes à risque, a-t-elle argué.
Et « même s’ils ont moins de chance de tomber terriblement malades, ils peuvent aussi l’être », y compris parfois sur plusieurs mois, a-t-elle dit, rappelant que plusieurs centaines de décès d’enfants ont été enregistrés. De plus, ils sont « touchés disproportionnellement » par certaines conséquences de la pandémie, comme les fermetures d’écoles.
« Le plus de personnes nous pouvons vacciner, le mieux ce sera », abonde Henry Bernstein, professeur de pédiatrie. Aux États-Unis comme en France, environ un cinquième de la population a moins de 18 ans. Et cette proportion peut-être plus élevée dans d’autres pays.
*Nécessaires à l’immunité collective
Il semble donc en outre peu probable que ce que l’on appelle l’immunité collective, nécessaire pour stopper l’épidémie, puisse être atteinte sans inclure les plus jeunes. On ne sait pas encore exactement quel pourcentage de population vaccinée sera nécessaire pour arriver à cette immunité collective : peut-être entre 70%… ou 85%, selon le Dr. Fauci.
« Une immunité collective efficace nécessitera la vaccination des enfants », ont écrit en février dans la prestigieuse revue scientifique NEJM les spécialistes en pédiatrie Perri Klass et Adam J. Ratner. Il s’agit d’une « obligation éthique et d’une nécessité pratique », selon eux. Les bénéfices seront à la fois « directs » (les enfants tomberont moins malades), et « indirects » (ils ne transmettront pas la maladie), soulignent-ils.
« Si on ne vaccine pas (les enfants), il va y avoir des poches de population non vaccinées dans lesquelles ce virus va pouvoir continuer à circuler et réinfecter des adultes, parce qu’aucun vaccin n’est efficace à 100%, celui-là pas plus que les autres. Donc il y a une vraie justification », plaide aussi le professeur Robert Cohen de l’hôpital intercommunal de Créteil sur France Inter. La vaccination des bébés est également envisageable selon lui car la question de la circulation du virus dans les crèches se posera.
*Spécificités à prendre en compte
Toutefois, « le calcul du rapport risques/bénéfices sera différent lorsque vous vaccinerez un enfant de 9 ans ou quelqu’un de 90 ans », nuance auprès de l’AFP Amesh Adalja, du Centre Johns Hopkins pour la sécurité sanitaire. Ce contre quoi les vaccins sont très efficaces, à savoir les cas graves de Covid-19, les hospitalisations et les décès, « sont très rares lorsque vous considérez la population plus jeune ».
Dans ce contexte, « quel niveau d’effets secondaires est tolérable ? », demande-t-il, avançant l’idée d’une répartition par groupes d’âge, qui prioriserait les adolescents plus âgés sur les petits enfants. Parce qu’ils n’ont pas fini leur développement, les essais cliniques sur les enfants visent à comprendre comment leur système immunitaire réagit à différents stades de croissance.
Procéder par étape en descendant progressivement les classes d’âge est une démarche standard dans le développement de traitements. Mais selon Amesh Adalja, il est aussi possible que la pandémie soit sous contrôle avant même que la distribution des vaccins pour les enfants n’aboutisse.
Dans tous les cas, cela n’est pas à l’ordre du jour en France. « Contrairement à la grippe, les enfants ne sont pas le réservoir de cette infection virale, ce sont plutôt les adultes qui transmettent aux enfants que l’inverse », estime Odile Launay, infectiologue de l’hôpital Cochin, sur France Inter. « Il est tout à fait possible que ce virus devienne un virus saisonnier, et que les enfants s’infectent assez précocement dans la vie, et qu’ils développent ensuite une immunité qui permettra à ce virus de moins circuler. »
(L’Express)