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La décision, grave, de confiner ou pas, c’est comme un match de football : elle se joue parfois dans les dernières minutes et tient à peu de choses. Le vendredi 29 janvier, un conseil de défense sanitaire se déroule, alors que le chef du gouvernement français, Jean Castex, et Olivier Véran, le ministre de la Santé, ont longtemps plaidé pour un reconfinement. A peine la réunion terminée et avant même les annonces, le ministre Bruno Le Maire appelle depuis l’Elysée l’un de ses interlocuteurs du secteur économique et chuchote au téléphone : « Je me bats contre le reconfinement. Combien de temps faut-il pour fermer les centres commerciaux de plus de 20 000 m2 ? » Réponse : « On peut le faire pour lundi. » Le Maire : « C’est trop tard. Samedi soir, sinon on reconfine… » Emmanuel Macron décidera de ne pas reconfiner. Du côté de l’Elysée, on souligne que durant les trois semaines qui ont suivi l’arbitrage présidentiel, l’épidémie a baissé. « Ce qui montre que l’humilité face à la maladie est pour tout le monde », pique un conseiller élyséen.
Cette fois, il n’y a plus le choix. C’est un ministre qui assistait au conseil de défense sanitaire ce mercredi qui le dit : « Nous avons devant nous quatre semaines dures. » La décision a donc été prise ce matin, après un tête-à-tête entre Emmanuel Macron et Jean Castex, suivie par ce conseil de défense, de reconfiner l’Ile-de-France le week-end. Le Premier ministre l’annoncera jeudi, au cours d’une conférence de presse, pour laisser le président au-dessus de la mêlée.
*Le « pari gagné » de Macron a-t-il vécu ?
Vaine tentative. C’est bien Emmanuel Macron qui va se retrouver au coeur des débats, lui qui, selon un proche, « est comme les Français : il ressent de plus en plus de lassitude face à la situation ». Déjà ces derniers jours, le ton n’a cessé de monter et les scientifiques, à l’image de Dominique Costagliola dans L’Express (« C’est naïf de prétendre que Macron est un épidémiologiste »), ont multiplié les interventions pour critiquer le choix présidentiel du 29 janvier de ne pas procéder à un nouveau confinement. L’ambiance s’annonce tendue. Le chef de l’Etat aurait-il perdu son pari ? « Je n’aime pas trop le mot pari, cela fait jeu de hasard, argumente un conseiller de l’exécutif. Toute décision comporte une part de risque. Les modèles que les scientifiques nous ont présentés en janvier ne se sont pas révélés exacts. Chacun est dans son couloir. Si nous avions décidé d’un confinement plus tôt, nous aurions eu d’autres conséquences, économiques et même sanitaires. » Comme s’il avait senti souffler avant l’heure le vent du boulet, et tandis qu’en Macronie certains célébraient le « pari gagné » du président, Christophe Castaner, le président du groupe LREM à l’Assemblée, s’est évertué dans plusieurs réunions à faire disparaître cette expression d’immodestie. « J’ai gueulé contre le terme ‘pari gagné’, glisse-t-il en privé. Ce n’était pas la peine de le dire, les gens l’ont bien vu. »
A présent, un ministre du premier cercle confie son fatalisme : « L’ennemi est invisible, donc il faut qu’on s’en invente un sur lequel on envoie des tomates. C’est freudien, il y a le besoin d’un exutoire. » Les tomates, on l’a compris, vont pleuvoir sur Emmanuel Macron. D’autant que – c’est un personnage haut placé de l’entourage du chef de l’Etat qui le dit – « l’acceptabilité sociale a reculé ; les Français sont dans les injonctions contradictoires, tous pétainistes, tous gaullistes ! ». « Le confinement est une décision politique : le critère sanitaire est le premier mais nous devons faire intervenir d’autres critères », a d’ores-et-déjà rappelé Jean Castex mardi soir sur BFM TV.
Une montagne de problèmes attend l’exécutif. Si la fermeture des écoles est écartée pour le moment, de même que la seule fermeture des cantines – le gouvernement français n’abordera pas la question lors de ses concertations avec les élus – le passage à l’heure d’été (à compter du 28 mars) rendra plus complexe le respect du couvre-feu. Autre difficulté : l’organisation des élections régionales, pour lesquelles le parlement doit étudier une clause de revoyure le 1er avril, au moment où la crise sanitaire sera très forte. Pour l’heure, l’exécutif s’est fixé une ligne : suivre à la lettre les recommandations qu’effectuera le conseil scientifique présidé par Jean-François Delfraissy – « en espérant que ce ne soit pas de l’eau de boudin », dit un ministre – pour ne pas être accusé de tripatouillage électoral.
(L’Express)