Je voudrais au début de cette introduction rassurer mes lecteurs et leur dire que je ne me suis pas converti face à la multiplication des crises à des positions radicales et violentes. Cette forme que j’ai choisie comme titre à cette chronique n’est pas de moi. Elle n’est pas non plus le fait de militants révolutionnaires qui cherchent à renverser le système capitaliste de manière violente et radicale.
Cette phrase bien connue dans les milieux des économistes a été rédigée par un des plus grands défenseurs du système capitaliste, et probablement l’un des plus grands économistes des temps modernes, le Britannique John Maynard Keynes. Cette phrase revient souvent dans le débat public dès qu’on discute de l’annulation des dettes publiques ou de leur réduction afin de réduire leur impact sur l’économie et sur l’investissement.
Cette idée a été avancée par le maître de Cambridge dans ce qui est certainement son œuvre majeure « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie ». Cet essai est considéré par beaucoup comme une œuvre majeure dans l’histoire de la pensée économique. Il a été à l’origine des politiques dites keynésiennes marquées par une forte intervention de l’Etat afin de sortir du chaos économique généré par le marché. Ces politiques ont sauvé le capitalisme de l’une des plus grandes crises, la grande dépression de 1929, qui a failli le mener à sa perte.
Les politiques keynésiennes et l’interventionnisme étatique vont dominer le champ des politiques économiques dans le monde jusqu’au milieu des années 1980, et l’entrée du monde dans la contre-révolution néolibérale qui sera à l’origine d’un changement majeur des politiques économiques.
Mais, les politiques keynésiennes sont de retour à chaque fois que le capitalisme traverse une grande crise et que les vents contraires deviennent forts. Ainsi, en est-il lors de la crise financière de 2008 où les politiques keynésiennes sont revenues pour défendre le capitalisme de l’aventurisme et de la cupidité des traders sur les marchés financiers.
Il en est de même avec la pandémie de la Covid-19 où les pays seront amenés à faire appel de nouveau à une forte intervention de l’Etat pour sauver les économies et les sociétés de ses conséquences désastreuses.
Comme toutes les grandes crises qui demandent une forte intervention des pouvoirs publics , et par conséquent un recours des Etats à l’endettement pour financer ses priorités et les programmes de sauvetage mis en place, la question de l’endettement public revient sur le devant de la scène ainsi que la fameuse phrase de Keynes.
Ainsi, on la retrouve dans la Théorie générale publiée en 1933 pour expliquer qu’il s’agissait de « l’euthanasie du pouvoir oppressif cumulatif du capitaliste d’exploiter la valeur-rareté du capital ». Le maître de Cambridge appelle à éliminer cette exploitation dans les sociétés capitalistes en limitant les revenus du capital et les taux d’intérêt au coût de dépréciation du capital majoré d’une prime de risque. Ainsi, le capital sera disponible à des coûts acceptables et en quantités nécessaires pour favoriser la croissance économique et la création de la richesse et de l’emploi.
Cette formulation et la vision keynésienne du financement ont suscité beaucoup d’intérêt chez les économistes et cela, jusqu’à nos jours. Ainsi, les défenseurs de l’annulation de la dette des pays du Tiers-Monde et les militants de la société civile internationale y font référence au début des années 1980 pour justifier l’abandon de cette dette. Cette idée est également revenue avec force après la grande crise financière de 2008 qui a été à l’origine d’un important endettement public afin de permettre aux Etats-Unis de sauver l’économie globale de la chute. Beaucoup de responsables politiques et d’économistes à l’époque avaient demandé une restructuration des dettes publiques. Cette restructuration est quelque part un retour à la proposition de Keynes dans la mesure où l’annulation de certaines dettes est quelque part une « euthanasie des rentiers ».
Cette question est revenue aujourd’hui dans le débat public dans les pays développés suite à la montée des dettes publiques pour mettre en place les programmes de sauvetage des économies suite à la pandémie de la Covid-19. Ces interventions exceptionnelles des Etats ont été à l’origine d’une croissance sans précédent des dettes publiques. A titre d’exemple, la dette publique française qui ne dépassait pas 98% du PIB avant la pandémie a grimpé en flèche l’année dernière pour atteindre 120% du PIB à la fin de l’année 2020 et pourrait dépasser selon les estimations 122% à la fin de cette année. Ainsi, la pandémie a-t-elle été à l’origine d’une intervention sans précédent de l’Etat dans les secteurs sociaux et de la santé mais aussi, un soutien sans précédent aux entreprises qui a généré un accroissement rapide de l’endettement public.
La question que se posent aujourd’hui responsables politiques, organisations internationales et économistes, c’est de savoir comment les Etats parviendront à payer leurs dettes et à respecter leurs engagements vis-à-vis de leurs créanciers. Cette question essentielle a amené certains à revenir à la fameuse proposition de Keynes et à une véritable politique d’annulation des dettes publiques.
Ces idées et ces propositions sont aujourd’hui au centre d’un grand débat public et de grandes controverses. C’est la pétition signée par 150 économistes du monde entier, et publiée dans un grand nombre de grands journaux dont le quotidien français Le Monde qui a mis le feu aux poudres. Dans cette pétition, les économistes appellent à une annulation de ce qu’ils appellent « la dette Covid-19 ».
Dans cette pétition, ils indiquent une série de raisons qui les poussent à demander cette annulation. La principale raison est que cet endettement a atteint des niveaux très élevés et insoutenables pour les Etats. Cet endettement, craignent-ils, va pousser les Etats à mettre en place des politiques d’austérité qui vont réduire de manière drastique les dépenses sociales et renforcer par conséquent les crises sociales et les inégalités qui traversent tous les pays. En même temps, cet endettement pourrait pousser les pays à mettre en place de nouvelles politiques fiscales et l’accroissement des niveaux d’imposition, ce qui aura des effets négatifs sur les entreprises et les citoyens.
Cette proposition a suscité beaucoup de critiques de la part d’un grand nombre de responsables politiques et d’économistes dont Christine Lagarde, la présidente de la BCE, qui défendent la position classique qui appelle les Etats à honorer leurs engagements, notamment en matière de dette publique.
Cette position reprend à son compte quatre arguments majeurs. Le premier, souvent repris par les défenseurs du remboursement de la dette, est plutôt d’ordre éthique et religieux. Cet argument considère que la dette, avant d’être un engagement économique et financier, est un engagement moral, et comme tous les engagements de cet ordre, les Etats doivent donner l’exemple afin de défendre la crédibilité des opérations économiques et financières dans les sociétés démocratiques.
Le second argument dans le refus de l’annulation des dettes publiques est relatif à la stabilité des systèmes économiques et des institutions financières. En effet, les principaux créanciers des Etats sont des institutions financières, des banques et des banques centrales. Ainsi, le non remboursement de ces prêts les mettrait dans de grandes difficultés financières et aurait des effets sur la stabilité du système capitaliste du fait du rôle majeur du monde financier et bancaire dans le fonctionnement des économies modernes.
Le troisième argument est d’ordre financier dans la mesure où la plupart des économistes et des experts financiers soulignent que les taux d’intérêt appliqués sur la dette publique dans la plupart des pays sont faibles et parfois négatifs. Ce coût faible de l’endettement public explique qu’il ne constitue pas un poids financier important sur les Etats qui pourront par conséquent le rembourser sans grandes difficultés.
Le troisième argument qui pousse certains économistes et responsables politiques à rejeter l’idée d’une annulation de la dette concerne les effets économiques de cette décision et qui pourraient se traduire par une importante poussée inflationniste dans ces pays.
La dette Covid-19 a été à l’origine d’un débat important et de grandes controverses dans les milieux économiques et financiers dans un grand nombre de pays qui ont connu une importante croissance de l’endettement public à la suite de la pandémie. Les inquiétudes des politiques d’austérité à venir pour faire face aux échéances de remboursement ont amené certains à proposer l’idée de l’annulation de la dette Covid-19. Or, cette position a fait l’objet d’importantes critiques de la part des responsables politiques, de certains économistes et des milieux conservateurs.
Les défenseurs de la position de l’annulation de la dette ont amélioré leur position pour répondre aux différentes critiques. Ainsi, pour certains, la proposition de l’annulation de la dette ne concerne que celle émise par les banques centrales au profit des Etats. Pour certains, si la proposition de l’annulation est rejetée, ils suggèrent de transformer cette dette en une dette perpétuelle à très long terme avec des taux d’intérêt faibles et proches de zéro afin que son remboursement n’empêche pas les Etats d’effectuer les investissements nécessaires dans les secteurs sociaux dont la santé et l’éducation.
La montée rapide de l’endettement public suite à la pandémie a été à l’origine d’un important débat public et de controverses et a amené certains à se rappeler au bon souvenir du maître de Cambridge et à sa fameuse proposition d’euthanasier les créanciers.
En dépit de cette effervescence intellectuelle et de cette quête incessante de nouvelles réponses et de nouvelles politiques économiques pour faire face aux conséquences de la pandémie, le débat économique chez nous reste désespérément fermé et marqué par le conservatisme et les solutions traditionnelles. N’est-il pas temps d’opérer les ruptures nécessaires afin d’apporter des réponses nouvelles aux défis sans précédent qui nous entourent et de relancer la croissance et le développement sous nos cieux ?
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