Notre pays a entamé cette semaine des négociations importantes avec le FMI en vue de la négociation d’un nouvel accord et d’une assistance financière. Il s’agit bien évidemment d’un développement important dans la mesure où nous avons mis beaucoup de temps avant d’ouvrir un nouveau round de négociation, suite à l’arrêt de l’ancien accord qui a couvert la période allant de 2016 à 2020. La requête du gouvernement tunisien et la réponse de l’institution de Washington vont ouvrir une nouvelle ère de négociation qui sera certainement longue et âpre.
Ce démarrage des discussions avec le FMI a suscité beaucoup de débats et de controverses. Plusieurs questions ont été posées dans le débat public sur l’opportunité de la visite de la délégation tunisienne à Washington à un moment où le gouvernement n’a pas encore finalisé son projet et ses engagements vis-à-vis de l’institution internationale dans le cadre du prochain accord. D’autres critiques ont également porté sur le contenu ou les grandes lignes du projet de politique économique que le gouvernement va proposer au FMI et la nécessité d’ouvrir un débat public sur ces questions avant de les négocier avec le FMI. D’autres critiques ont mis l’accent sur l’opportunité des démarches politiques du gouvernement auprès des grands actionnaires du FMI à un moment où les négociations n’ont pas encore commencé. Ces démarches ignorent selon les critiques la grande aversion de cette institution pour l’interventionnisme et sa volonté de défendre jalousement son indépendance.
Des critiques ont également porté sur la nature de l’action du FMI et ses recommandations de politique économique qui n’ont pas aidé les pays qui ont joui de son appui, ou les pays sous-programme selon la terminologie consacrée, et encore moins la Tunisie à sortir de leurs crises financières. Certes, on peut évoquer le fait que ces pays, dont la Tunisie, n’ont pas appliqué à la lettre les prescriptions du FMI qui a été obligé de mettre fin à sa coopération avec eux avant son terme.
Nous croyons que la coopération avec le FMI, comme avec toutes autres institutions financières internationales, est nécessaire et importante pour plusieurs raisons. D’abord, leur assistance financière nous permet de faire face à nos besoins et surtout aux difficultés de nos finances publiques. Par ailleurs, les accords avec les institutions financières internationales vont également nous ouvrir les marchés internationaux à des coûts moindres pour faire face à nos besoins de financement. Cette assistance financière va contribuer également à convaincre les investisseurs à s’aventurer dans nos contrées et à prendre des risques en développant leurs activités dans notre pays.
Mais, en dépit de son importance et son intérêt, la quête désespérée de l’appui du FMI pour faire face à la crise des différents gouvernements leur a fait perdre la globalité de l’approche dans le traitement de la crise économique pour consacrer l’hégémonie de la dimension financière, plus particulièrement des finances publiques. Du coup, notre politique économique s’était retrouvée réduite à une course effrénée des pouvoirs publics à la réduction des déficits publics et à ce tête-à-tête terrible entre nos responsables et ceux du FMI sur la réduction de la masse salariale, la réduction des subventions et la réforme du secteur public. Et, c’est le cercle vicieux dans lequel se sont engagés les différents gouvernements avec des résultats faibles.
Cet enfermement dans la logique financière nous a été imposé par le FMI et surtout les difficultés de nos finances publiques qui se sont accumulées depuis quelques années et qui ont réduit l’action gouvernementale à l’obsession de trouver les ressources nécessaires pour assurer les engagements financiers de l’Etat. Le FMI, en dépit d’évolutions importantes et de l’élargissement de ses analyses et de ses politiques à de nouveaux domaines, notamment la croissance inclusive et le développement durable, reste fondamentalement marqué par sa culture originelle qui fait de la stabilisation des grands équilibres macroéconomiques le fondement des politiques économiques dans les pays membres. Cette culture continue à peser dans les choix de l’institution de Bretton Woods et dans ses prescriptions pour les pays membres. En même temps, l’ampleur des dérives et des crises financières de l’Etat fait que nos gouvernants ont délaissé toutes les autres dimensions de la politique économique pour ne focaliser leur action que sur les équilibres financiers.
Or, ces choix méthodologiques et politiques ont montré leurs limites. En effet, les résultats des programmes mis en place en coopération entre le FMI et notre pays n’ont pas été probants, ce qui a été à l’origine de leur arrêt avant leur terme. Par ailleurs, les expériences historiques et les leçons historiques montrent qu’il n’est de stabilisation durable des économies en dehors d’une croissance forte.
Parvenir à un accord avec le FMI doit rester un objectif important pour les pouvoirs publics. Mais, en même temps, nous devons nous libérer de la vision financière qui a guidé l’action publique et les politiques économiques depuis plusieurs années pour inscrire l’action économique dans une démarche plus large et plus globale.
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