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Si l’élection présidentielle tunisienne se tenait aujourd’hui, elle arriverait en tête. Adepte des coups d’éclat et des propos populistes, Abir Moussi se prétend l’héritière de l’ancien président Ben Ali. The Economist a dressé son portrait.
Comme beaucoup de Tunisiens, Khadija pense que les conditions de vie étaient meilleures avant la révolution qui a renversé le dictateur Zine El-Abidine Ben Ali en 2011. Oui, il y a plus de liberté, mais la démocratie n’a pas apporté la prospérité. La corruption, l’inflation et le chômage persistent. À 50 ans, Khadija n’a pas d’emploi, mais elle compte sur une femme politique, Abir Moussi, pour redresser la barre en Tunisie. “Moussi parle au nom du peuple”, souligne-t-elle.
Depuis qu’elle a remporté un siège au Parlement, en 2019, Abir Moussi s’est fait connaître par ses éclats populistes. Selon elle, la révolution est un “complot” fomenté par des pays étrangers, autrefois par les “Européens, Américains et sionistes”, et maintenant par le Qatar et la Turquie. Quand elle ne débite pas des théories du complot, elle canalise sur elle la nostalgie des Tunisiens pour l’ordre et la stabilité relatifs de l’ère Ben Ali [président de 1987 à 2011]. Tout cela l’a rendue très populaire. D’ailleurs, les sondages montrent que son Parti destourien libre (PDL) arriverait en tête si des élections se tenaient aujourd’hui.
*Pas peur de s’époumoner ni de déboulonner
Mais, en l’état actuel des choses, le PDL est seulement le cinquième parti le plus important dans un Parlement qu’Abir Moussi considère comme fracturé. Beaucoup de Tunisiens sont d’accord avec elle. Huit chefs de gouvernement se sont succédé en dix ans sans réussir à sortir le pays de l’ornière. Mais Abir Moussi fait partie du problème. Il lui arrive souvent de prendre la tête de mouvements de protestation qui perturbent l’Assemblée. Sa cible est en général Ennahdha, le parti islamiste modéré qui compte le plus de sièges. Ce sont des “terroristes” qui tentent d’imposer un régime religieux, affirme-t-elle, ou plutôt s’époumone-t-elle. Pour mieux crier après le chef d’Ennahdha, le doux Rached Ghannouchi, qui est également le président du Parlement, il lui arrive d’apporter un mégaphone dans l’hémicycle.
Abir Moussi affirme avoir été agressée par un membre d’Ennahdha au cours d’une séance. Mais aux yeux des observateurs locaux, le PDL est le parti qui cherche le plus la confrontation au Parlement. L’an dernier, ses membres ont même déboulonné le fauteuil du président avant de le brandir dans l’Assemblée lors d’un mouvement de protestation.
*À méthodes fortes, cote de popularité forte
Sa rhétorique fait souvent penser à celle utilisée par les régimes anti-islamistes des Émirats arabes unis, d’Arabie Saoudite et d’Égypte. Sa vision de la démocratie semble également analogue. Elle veut renforcer la présidence et les forces de sécurité, et interdire Ennahdha. “Je ne pense pas qu’elle ait jamais dit précisément qu’elle était contre la démocratie”, précise Youssef Cherif, du Columbia Global Centers, un institut de recherche à Tunis. “Mais elle semble se plaire à laisser le supposer, notamment à travers sa croisade contre les piliers de la démocratie tunisienne, comme les autres partis politiques ou les ONG financées par l’étranger.”
Lors des rassemblements, Abir Moussi, qui est une ancienne responsable du parti de Ben Ali, s’entoure de symboles du passé, sans faire la moindre allusion à la répression dont les Tunisiens ont été victimes. Elle n’offre pas non plus beaucoup de solutions aux problèmes du pays. Pourtant, un nombre croissant de Tunisiens ont le sentiment qu’elle parle en leur nom. Lorsqu’elle s’est présentée à la présidentielle, en 2019, elle n’a obtenu que 4 % des voix – le vainqueur, Kaïs Saïed, [élu avec 70 % des voix au second tour], étant le seul homme politique plus populaire qu’elle –, mais elle ferait beaucoup mieux aujourd’hui. De nombreux Tunisiens considèrent en effet qu’un dirigeant fort est la voie vers la prospérité.
(The Economist, traduit de l’anglais par
Le Courrier international)