Les Assises nationales de la fiscalité ont été organisées les 12 et 13 novembre pour permettre aux partenaires sociaux et à la société civile de participer à un dialogue participatif relatif aux recommandations finales du conseil supérieur de la fiscalité quant à la réforme préconisée par le gouvernement provisoire de Mehdi Jomâa.
La séance inaugurale a permis à plusieurs responsables et experts tunisiens et étrangers de livrer aux congressistes des éclairages pertinents en la matière.
Pour un partage du poids fiscal
Mme Widad Bouchamaoui, présidente de l’UTICA, qui a présidé la séance inaugurale des Assises nationales de la fiscalité, n’a pas manqué d’exprimer les opinions du patronat qui est opposé à toute amnistie fiscale et qui a toujours réclamé une réforme fiscale dans le sens d’une répartition moins inégalitaire entre les différentes catégories de contribuables et l’abaissement de la pression fiscale devenue très lourde pour l’entreprise, tout en étant favorable au principe du paiement des impôts, devoir national pour tous.
En effet, le patronat considère la fiscalité comme un système ambigu et pénalisant pour l’entreprise et estime que la relation entre l’appareil fiscal et les chefs d’entreprises est souvent tendue, avec persistance d’un lourd contentieux.
Le patronat est partisan d’un système fiscal transparent et incitatif qui encourage l’exportation et l’investissement et, par conséquent, favorise la croissance économique et la création d’emplois.
Chefs d’entreprises : quelle perception de la fiscalité ?
M. Hassen Zargouni, de Sigma Conseil, a fait part du résultat d’un sondage réalisé auprès des chefs d’entreprises sur leur perception de la fiscalité.
Le patronat a une perception négative de la fiscalité, il pense qu’elle n’est pas équitable dans une proportion de 70% et que les relations entre l’appareil fiscal et les chefs d’entreprises sont au mieux médiocres. Les textes de lois relatifs à la fiscalité ne favorisent pas une bonne gouvernance et ne sont pas non plus efficaces pour lutter contre la fraude. Ils sont même équivoques et se prêtent à des tractations. Tout cela selon le sondage.
On dirait que le fisc cherche à maintenir une pression permanente sur les entreprises. Les attentes des chefs d’entreprises sont celles d’une clarification et d’une simplification des procédures et des mesures fiscales.
Avec la Révolution, les entreprises veulent des impôts moins lourds avec une assiette d’imposition plus large.
Il y a eu une rupture du contrat entre le citoyen et l’État : le système de la retenue à la source fait en sorte que le citoyen ne perçoit pas l’impôt payé à l’État. Il y a une pédagogie à pratiquer pour reconstruire la relation État-citoyen avec réappropriation de la notion de bien public. Une nouvelle culture avec équilibre entre droits et devoirs est à instaurer.
La réforme fiscale, une priorité stratégique
S’exprimant au nom du chef du gouvernement, M. Nidhal Ouerfelli, ministre chargé des dossiers économiques, a prononcé un discours pour replacer la réforme de la fiscalité dans le cadre général des cinq priorités stratégiques qui constituent le nouveau modèle de développement adopté par le gouvernement de Mehdi Jomâa.
Les cinq principes de base de cette réforme fiscale consistent à instaurer une justice entre les contribuables, à lutter contre l’évasion fiscale, à doter le pays d’une administration fiscale efficace et de permettre la mobilisation des ressources nécessaires à l’équilibre du Budget.
Améliorer la fiscalité locale pour doter les collectivités locales de recettes suffisantes pour assumer leurs fonctions.
Enfin, reconstruire les relations de confiance entre l’État et les contribuables.
Le gouvernement a instauré ce dialogue participatif avec la société civile et les partenaires sociaux pour arrêter les recommandations finales de la réforme fiscale avant de le traduire en textes de lois après adoption par la Chambre des députés.
Garantir les équilibres macro-économiques
M. Hakim Ben Hammouda, ministre des Finances et de l’Économie, a fait une intervention dans laquelle il a exposé les objectifs de la réforme du système fiscal ainsi que la démarche suivie et les modalités d’application prévues. Durant cette consultation, six volets ont fait l’objet de recommandations de la part des commissions qui ont été adoptées par le conseil supérieur de la fiscalité. Il s’agit des impôts directs, impôts indirects, des garanties de transparence, de la modernisation de l’administration fiscale, de la révision du régime forfaitaire et de la stratégie de communication relative à la culture de la fiscalité à adopter pour la réussite de la réforme.
Le ministre a insisté sur l’équilibre à trouver entre le niveau de la pression fiscale et l’incitation à l’investissement qui fait partie intégrante du climat des affaires lequel a besoin d’être amélioré.
Quel rôle pour la fiscalité ?
Tour à tour, Philippe Aghion, professeur d’économie à Harvard (en duplex de Cambridge), Jacob Kolster, directeur AFN à la BAD et Abderrazak Zouari, professeur d’économie, président de l’UBCI, ont intervenu dans le débat en présentant chacun une communication. Ils ont livré alors des réflexions sur l’impact de la fiscalité sur les recettes budgétaires, la croissance économique et l’investissement ainsi que les retombées sur l’emploi et la consommation.
Philippe Aghion a affirmé que la fiscalité doit éviter l’exclusion par le haut et le bas et favoriser la redistribution des revenus : un bon rendement de l’impôt doit faciliter l’investissement et la croissance.
Une bonne fiscalité doit trouver un point d’équilibre entre imposer les revenus du capital et ceux du travail. Elle doit également réconcilier le citoyen avec l’impôt.
Parmi les fausses idées à éliminer il y a les subventions à accorder pour compenser l’impôt sur le capital. L’expérience scandinave en matière de réforme de la fiscalité est intéressante à analyser. Financer l’éducation est bon pour la mobilité sociale, donc pour la croissance.
Quel équilibre entre imposition du capital et du travail ?
Selon le professeur Zouari, la fiscalité doit encourager l’épargne et l’investissement. L’objectif consiste à optimiser la recette fiscale, favoriser la croissance tout en respectant le principe de l’équité dans la répartition du poids de l’impôt.
À ce propos, l’impôt doit répondre aux critères d’efficacité et d’équilibre horizontal et vertical avec un coût de collecte bas et des distorsions induites limitées.
Les réformes doivent être étalées dans le temps pour ne pas provoquer de bouleversements.
L’imposition du capital devrait être à taux fixe et celle du travail à taux progressif.
L’impôt sur les sociétés est nuisible pour la croissance.
Le modèle fiscal scandinave
Selon Jacob Kolster, le taux d’imposition importe peu, ce qui compte le plus c’est l’impact sur l’entreprise (croissance investissement et emploi) sur la consommation, c’est le cas de la TVA. Il y a aussi la taxation de l’immobilier et celle de l’héritage qui permet d’accumuler les fortunes (rentes.)
En Scandinavie l’impôt atteint 60%, mais il n’y a pas de fautes, car les retombées de l’impôt sur la qualité et des services publics et socio collectifs dépasse 35%. Il y a déficit flagrant en matière de communication relative à la fiscalité : pourquoi faut-il payer les impôts ? À quoi servent les impôts
Fiscalité : état des lieux
M. Fayçal Derbel, expert-comptable et enseignant à l’ISG-Tunis, a brossé un tableau éloquent de la fiscalité en vigueur dans notre pays.
C’est ainsi que les recettes fiscales ont progressé de 46,6% en cinq ans passant de 12,7 milliards de dinars en 2010 à 18,6 milliards de dinars en 2014, soit 10% par an en moyenne.
Cette progression serait remarquable si elle ne coïncidait pas avec une baisse sensible de l’épargne nationale brute qui est passée de 21,7% du PIB en 2010 à 12,9% en 2014.
Parallèlement, les investissements ont connu une régression passant de 24,5% en 2010 à 19,2% en 2014.
La croissance du PIB a été lente durant ces cinq ans : 2% en moyenne par an alors que la pression fiscale n’a pas cessé de progresser, passant de 20,1% en 2010 à 22,6% en 2014.
La pression fiscale étant le poids des recettes fiscales par rapport à la richesse nationale créée.
Il faut dire que l’augmentation continue du taux de pression fiscale est préoccupante, surtout que nous ne connaissons pas la répartition de ce fardeau sur les différents contributeurs. Logiquement il ne devrait pas dépasser 20%.
L’impôt sur les revenus en 2013 a procuré à l’État 3,710 milliards de dinars dont 83% proviennent des salariés, c’est dire le poids supporté par la classe moyenne.
En effet, le salarié supporte un impôt moyen de 1.300D/an alors que la moyenne des forfaitaires ne paie que 60D/an.
Ainsi la pression fiscale subie par les salariés hors impôts indirects est de 18,5%, soit trois fois le taux de pression des impôts directs dans leur ensemble.
Le coin fiscal pour un salaire moyen annuel de 8.400 D est de 34% : retenue sur salaire dont les 2/3 sont consacrés aux charges sociales et 1/3 aux charges fiscales.
Pour les salaires élevés (directeur de banque par exemple) le coin fiscal est de 56,6%, compte non tenu de la redevance de compensation.
La fraude fiscale en matière de TVA par exemple est évaluée à 1,3 milliard de dinars. Elle a été évaluée par la différence entre la TVA théorique soit 5,7 milliards alors que les recettes réelles n’ont pas dépassé 4,4 MD.
L’hypothèse retenue étant celle d’un taux d’imposition moyen de 13% avec 30% d’activités non soumises.
Selon M. Derbel, le coin fiscal ne devait pas dépasser 30%.
Ridha Lahmar