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A quelle fréquence les épidémies se sont-elles produites dans le passé et, surtout, à quelle fréquence se produiront-elles dans le futur ? Répondre à ces questions apparaît d’autant plus crucial aujourd’hui que la pandémie de Covid-19 a surpris la plupart des Etats du monde qui n’y étaient pas ou mal préparés. Malheureusement, « estimer la probabilité d’apparition des épidémies en se basant sur l’histoire de l’apparition des maladies infectieuses est un domaine scientifique qui reste à la traîne, quand il ne fait pas totalement défaut », estime Marco Marani, professeur à la division Terre et climat de l’université Duke, aux Etats-Unis. Son équipe et lui ont donc décidé de créer un modèle épidémiologique permettant d’y répondre.
Leurs recherches, publiées ce lundi 23 août dans Proceedings of the National Academy of Sciences (Pnas), apportent une première réponse. Selon eux, la probabilité de la survenue d’une ‘épidémie extrême’ baisse depuis le XVIIe siècle. En revanche, « la probabilité de subir des pandémies similaires au Covid-19 pourrait doubler au cours des prochaines décennies ». Un changement de trajectoire lié, selon eux, aux dégâts environnementaux provoqués par l’humanité.
*Créer une base de données sur les épidémies
Afin de commencer leur travail, les chercheurs ont voulu analyser les principales pandémies qui ont frappé les planètes ces derniers siècles. Ils se sont confrontés à un premier problème de taille : « Les épidémies sont le plus souvent étudiées séparément par les scientifiques, qui se concentrent sur une seule maladie. D’ailleurs, en fouillant la littérature scientifique, nous avons découvert qu’il n’existait aucune base de données complète – c’est-à-dire mentionnant la cause et le nombre de morts -, regroupant toutes les épidémies qui se sont produites dans notre histoire, explique Marco Marani, principal auteur de l’étude. La première partie de notre travail a donc consisté à rassembler toutes ces données éparpillées dans la littérature scientifique afin de constituer cette base de données. »
Son équipe et lui ont étudié plus de 476 études provenant d’une trentaine de publications scientifiques différentes – spécialisées en économie, histoire ou épidémiologie – relatant des épidémies entre 1600 et 2020. Puis ils ont compilé les différents documents décrivant la même épidémie, mais à des dates ou dans des régions différentes. Ils ont également décidé de ne pas prendre en compte les épidémies encore en cours, comme celle du sida, de la malaria ou du Covid-19, ni celles qui ont été stoppées grâce à l’introduction des vaccins, ce qui les a menés à ignorer toutes les épidémies qui se sont produites après 1945. Au final, ils ont retenu 395 documents, dont 182 précisant la durée, l’occurrence et le nombre de décès, 108 qui ont provoqué au moins 10 000 décès, et 105 dont seulement l’occurrence et la durée de l’épidémie sont connues. Enfin, ils ont rassemblé et analysé cet ensemble de données afin de construire un modèle mathématique basé sur l’intensité épidémique et la probabilité du nombre d’épidémies survenant au cours d’une année donnée.
*Déforestation et transmissions de l’animal à l’humain
Après avoir mené leurs calculs, les chercheurs ont abouti à plusieurs conclusions. D’abord, que l’intensité des épidémies a globalement diminué depuis 1600. Ensuite, que « la probabilité d’une personne de vivre une pandémie similaire au Covid-19 au cours de leur vie pourrait doubler » dans les prochaines décennies. « La probabilité pour qu’une épidémie d’intensité égale ou supérieure au Covid-19 se produise l’année prochaine est déterminée par deux facteurs : le calcul du taux d’occurrence des épidémies – soit la probabilité qu’une épidémie se produise dans un an -, ainsi que le calcul de son intensité – soit la probabilité qu’elle soit supérieure ou non à celle de Covid-19, par exemple -, détaille Marco Marani. Nous constatons que, premièrement, le taux d’occurrence des épidémies – petites ou grandes – a beaucoup varié au cours des siècles et que, deuxièmement, la probabilité de l’intensité des épidémies semble suivre une courbe algébrique qui décroît de manière constante depuis 1600, ce qui nous permet de formuler des prédictions ».
« Nous devons donc prendre cet avertissement très au sérieux et renforcer notre préparation à la prochaine pandémie, qui devrait survenir dans quelques dizaines d’années ».
Sauf que la littérature scientifique la plus récente montre que le taux d’occurrence des nouvelles épidémies a triplé au cours des dernières décennies, notamment à cause des changements environnementaux qui exposent les êtres humains aux animaux sauvages, qui constituent des « réservoirs de nouvelles maladies ». « Les recherches sur le sujet ont clairement identifié la déforestation comme l’une des causes majeures dans l’augmentation du taux de l’émergence de nouvelles maladies, parce que la déforestation implique une augmentation des contacts entre les humains et les animaux qui portent des maladies que nous ne connaissons pas encore », ajoute le chercheur.
En utilisant ces informations et en analysant l’intensité des épidémies historiques, Marco Marini et son équipe ont déterminé que la probabilité qu’une personne fasse l’expérience d’une épidémie aussi intense ou plus intense que le Covid-19 dans sa vie va doubler. « Cette probabilité est aujourd’hui d’environ 38 %, elle pourrait atteindre 76 % dans quelques décennies, résume l’auteur principal de l’étude. Cet avertissement doit être pris très au sérieux ». Selon lui, il n’est plus question de se demander si une nouvelle épidémie va frapper, mais quand. « Il faut absolument renforcer notre préparation à la prochaine pandémie, qui devrait survenir dans quelques dizaines d’années, sinon le prix pourrait être très élevé », alerte-t-il.
*Le réchauffement climatique constitue aussi une menace
Si Marco Marini et son équipe sont les premiers à avoir créé une base de données regroupant toutes les épidémies de ces quatre derniers siècles et à avoir calculé, grâce à elle, la probabilité que l’humanité soit frappée par de nouvelles épidémies, ce ne sont pas les premiers à avoir alerté sur les futurs risques épidémiques. Outre la déforestation, le réchauffement climatique est responsable du déplacement de certaines maladies du sud vers le nord, comme la fièvre de la dengue, le chikungunya, voire le paludisme, parce que les insectes – dont les moustiques – des régions tropicales ou chaudes remontent progressivement au nord à mesure que les températures y augmentent.
D’autres scientifiques s’inquiètent aussi de la fonte du permafrost, cette couche géologique composée de glace et de matières organiques gelée en permanence et qui représente près du quart des terres de l’hémisphère nord. Son réchauffement pourrait faire réapparaître des virus ou des bactéries potentiellement dangereux piégés depuis des siècles. Après tout, un virus préhistorique a bien été découvert dans les sols de Sibérie par des scientifiques russes, en 2015.
(L’Express)