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De nombreuses études se penchent sur le taux de protection conféré par les vaccins contre les infections au variant Delta. Les résultats sont variés.
L’arrivée des vaccins a indubitablement permis de remporter une partie de la guerre contre le Covid-19. Avec une protection à 95% contre les formes graves lors de leur mise sur le marché, ils promettaient de désengorger les hôpitaux et de limiter le nombre de morts. Aujourd’hui, la donne n’a pas fondamentalement changé : les vaccins protègent toujours contre les formes graves. Néanmoins, de récentes études montrent que ce rempart perd de sa solidité, ce qui pourrait s’expliquer par le fait que le système immunitaire perd de lui-même sa capacité à bloquer les infections au fil du temps, ou parce que les variants – et en particulier le Delta -, résistent mieux aux vaccins, voire une conjugaison des deux. Quoi qu’il en soit, la protection contre les formes graves se situerait désormais entre 80 et 90%, selon différentes études menées à travers le monde. Si cette baisse peut légitimement inquiéter, ces taux restent suffisants pour justifier la poursuite des campagnes de vaccination.
Ces nouveaux éléments relancent également l’épineux problème de l’immunité. Les vaccins protègent-ils toujours contre une infection du variant Delta ? Si oui à quel taux, et pendant combien de temps ? Or, répondre à ces questions se révèle plus complexe aujourd’hui. « Au début de l’année, effectuer des analyses afin de déterminer les taux d’efficacité des vaccins en comparant les populations était plus aisé, car personne n’était vacciné et peu de gens avaient été infectés par le Sars-CoV-2, explique Morgane Bomsel, virologue et chercheuse du CNRS à l’Institut Cochin (France). Aujourd’hui, ces analyses se révèlent plus difficiles car les populations sont plus hétérogènes : certains sont vaccinés, d’autres ont été infectés puis vaccinés, quand d’autres encore n’ont pas encore reçu d’injection, mais ont développé des formes plus ou moins symptomatiques de la maladie, ce qui explique que les résultats concernant l’immunité sont très variables en fonction des études ». Malgré ces difficultés, il existe quelques travaux de qualité qui permettent de se faire une idée.
*L’immunité tombe de 88% à 47% au bout de cinq mois
L’une des études les plus précises sur le sujet est celle prépubliée le 23 août dernier dans The Lancet par le département de recherche et d’évaluation de Californie du Sud (Etats-Unis) de Kaiser. « Il s’agit des travaux qui m’ont le plus impressionnée dernièrement, parce que les auteurs ont recoupé les données de plus de 3 millions de personnes, ce qui assure une certaine solidité des résultats », indique Morgane Bomsel. Dans ces travaux, les scientifiques ont analysé les données de plus de deux millions d’Américains ayant reçu le vaccin de Pfizer-BioNTech (1,146 million) ou de Moderna (1,010 million). Ils les ont ensuite comparées avec celles de 1,166 million de personnes non vaccinées. Conclusion : la capacité du vaccin à empêcher l’infection décline avec le temps et passe de 88% en moyenne dans les premiers mois suivant la deuxième injection à 47% cinq mois plus tard. Le taux d’immunisation des plus de 65 ans passe même de 80% à 43%, chutant pour certains jusqu’à 30% ! Les chercheurs affirment également que les vaccins sont moins efficaces face au variant Delta. « Alors que la protection contre l’infection reste élevée un mois après la vaccination (93% contre Delta, 97% pour les autres variants), quatre mois plus tard, elle diminue de façon plus importante pour Delta (53%) que pour les autres (67%) », écrivent-ils. En revanche, ils estiment que le taux de protection contre les hospitalisations reste stable cinq mois après une vaccination complète, autour de 88%.
« Si la majorité des personnes reste efficacement protégée contre les formes graves cinq mois après la vaccination, mais que 47% perdent leur immunité, cela suggère que pour ces derniers, le taux d’anticorps circulant dans le sang – ceux prêts à nous défendre immédiatement contre l’infection – diminue, mais que les cellules mémoire qui produisent les anticorps sont toujours efficaces et peuvent se remettre en marche en cas de nouvelles infections pour en diminuer l’intensité », analyse Morgane Bomsel. Selon la virologue, ces résultats suggèrent que l’administration d’une troisième dose est probablement plus utile chez ceux qui voient leurs anticorps circulant diminuer, ce qui demanderait d’analyser le taux d’anticorps de chaque personne avant le rappel. En France, cette stratégie n’a pas été retenue, puisque toutes les personnes de plus de 65 ans et celles à risque peuvent, depuis le 30 août, prendre rendez-vous pour recevoir une 3e dose du vaccin contre le Covid, à condition d’avoir reçu la deuxième dose il y a plus de 6 mois.
*Avec AstraZeneca, l’immunité tombe à moins de 60% après 110 jours
Une autre étude prépubliée le 19 août par des chercheurs de l’université d’Oxford va dans le même sens. Ces derniers ont scruté les données de plus de 500 000 Britanniques ayant reçu deux injections des vaccins Pfizer ou AstraZeneca et régulièrement dépistés pour le Covid-19 au cours de deux périodes, l’une dominée par le variant Alpha et l’autre par Delta. Là encore, les résultats soulignent que l’immunité conférée par les deux vaccins diminue au fil du temps : contre le variant Delta, la protection donnée par le Pfizer passe de 84% quinze jours après la deuxième dose à 72% cent dix jours plus tard. Pour l’AstraZeneca, l’immunité tombe de 68% à moins de 60% au cours de la même période.
Les chercheurs confirment également que l’immunité obtenue par les vaccins reste plus élevée chez les 18-34 ans que chez les 35-64 ans, mais chute dans les deux cas. Pour les plus jeunes vaccinés avec Pfizer, elle passe de 90% à 82% cent dix jours plus tard, et de 73% à 67% avec AstraZeneca. Pour les plus âgés, la protection contre l’infection passe de 78% à 58% avec Pfizer et de 54% à 42% pour AstraZeneca. Plus inquiétant, l’étude indique qu’au cours de la période où le variant Alpha était dominant, les personnes vaccinées qui ont tout de même été infectées par le virus ne présentaient que de faibles charges virales : le virus n’était que très peu présent dans leur organisme et elles étaient peu susceptibles de le propager. Mais au cours de la période Delta, les personnes vaccinées puis infectées montraient, elles, des charges virales parfois aussi élevées que les personnes infectées pour la première fois, ce qui suggère qu’elles pourraient être aussi contaminantes. Les scientifiques britanniques affirment enfin que le taux de protection contre les formes graves du vaccin de Pfizer est passé de 94% avec le variant Alpha à 84% avec le Delta, quand celui du vaccin d’AstraZeneca est passé de 86% avec Alpha à 70% avec Delta.
*De 91% contre le variant Alpha à… 66% contre Delta
Une tendance également constatée par des études des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC, Etats-Unis) portant sur une cohorte de 4 000 professionnels de la santé dont les quatre cinquièmes ont reçu des injections de vaccins Pfizer (65%) ou Moderna (33%) et soumis chaque semaine à un test dépistage par RT-PCR. Les résultats indiquent que depuis l’arrivée du variant Delta, l’immunité conférée par les vaccins est tombée à… 66%. Une précédente analyse, réalisée entre le 14 décembre 2020 et le 10 avril 2021, alors que le Delta n’était pas encore dominant outre-Atlantique, montre que ce chiffre était de 91% ! Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette chute : soit le variant Delta est plus apte à provoquer des infections chez des personnes vaccinées que les autres formes du virus, soit le système immunitaire perd sa capacité à bloquer les infections avec le temps, soit, plus probablement, la conjugaison des deux phénomènes. Un autre élément a pu jouer : avec le relâchement des politiques d’atténuation, les contacts entre les individus ont augmenté tout comme les transmissions. A l’image de leurs confrères britanniques, les chercheurs du CDC indiquent eux aussi que les personnes vaccinées mais tout de même infectées par le variant Delta sont susceptibles de transmettre le virus à d’autres personnes. Ils précisent néanmoins qu’elles sont moins infectieuses que celles non vaccinées et ayant contracté le Delta.
(L’Express)