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A quelques semaines de la COP26 organisée à Glasgow, tous les feux sont au rouge. Les Nations unies, par la voix de son secrétaire général Antonio Guterres, ont indiqué que le monde se dirigeait inexorablement vers un réchauffement « catastrophique » de +2,7°C, loin de l’objectif des 1,5°C prôné par l’Accord de Paris. Et une entente ambitieuse entre grands États peine à se dessiner. Une réunion de préparation s’est tenue la semaine dernière à Milan. Malgré quelques avancées, de nombreux pays, dont l’Inde ou la Chine, tardent à présenter des plans climat visant à se conformer aux engagements pris à Paris en 2015. Face à l’échec des politiques étatiques et de leurs « bla, bla, bla » – pour reprendre l’expression de Greta Thunberg -, des acteurs privés se mobilisent à coups de milliards de dollars. D’autant que l’un des enjeux de la COP26 portera sur le financement climatique, notamment en faveur des pays en développement.
Mi-septembre, pas moins de neuf fondations, oeuvres de charité pilotées par des milliardaires philanthropes – dont le patron d’Amazon Jeff Bezos et l’homme d’affaires suisse Hansjörg Wyss -, ont décidé de donner 5 milliards de dollars, soit environ 4,2 milliards d’euros, pour la protection de la planète et la biodiversité. Un don record qui servira à financer la protection de 30 % des espaces terrestres et maritimes de la Terre d’ici à 2030. Cet objectif, surnommé « 30×30 », fait partie d’une liste de 21 points intégrés à un accord onusien portant sur la préservation de la biodiversité actuellement en négociation. « Nous pouvons résoudre cette crise à laquelle la nature est confrontée. Mais, pour cela, les nations et les individus les plus riches vont devoir s’engager à réinvestir leurs bonus mirobolants au profit de la Terre », a déclaré Hansjörg Wyss lors de l’annonce de ce don. Les organismes donateurs ont par ailleurs précisé leur intention de respecter les droits des espèces animales et des peuples indigènes pouvant vivre sur ces terres. Au Canada, des aires protégées et gérées par des communautés indigènes seront ainsi créées dans la baie d’Hudson, James Bay et la région maritime de la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Des espaces qui abritent notamment des ours polaires, des morses et des bélugas.
Malgré certains exemples très médiatisés, la philanthropie environnementale reste infime par rapport à d’autres domaines. Selon l’ONG Rockfeller Philanthropy Advisors, elle ne représente que 8 % des dons réalisés sur la planète. Mais la donne est en train de changer. Les plus importants propriétaires d’Ecosse, les milliardaires danois Anne et Anders Holch Povlsen, ont par exemple pour projet de réhabiliter de grandes zones des Highlands afin de les faire retourner à l’état sauvage. Avant sa mort en 2015, le fondateur de la célèbre marque The North Face, Douglas Tompkins, avait également acheté de vastes territoires en Patagonie chilienne afin d’y mener un travail de préservation des espaces et des espèces. Une oeuvre que sa veuve poursuit aujourd’hui. Enfin, à travers son fonds pour la planète, Jeff Bezos entend, lui, investir massivement dans la préservation des Andes tropicales ou encore le bassin du Congo.
* »C’est le bon moment pour commencer à agir »
La philanthropie de quelques milliardaires peut-elle réellement sauver l’humanité du réchauffement climatique ? La question divise les experts. Contacté par L’Express, Basile van Havre, l’un des deux coprésidents de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB), qui sera au coeur des négociations lors de la COP15 Biodiversité de Kumming, en Chine, note un changement certain : « Il existe depuis des décennies une tradition philanthropique dans les pays anglo-saxons que l’on retrouve moins en Europe continentale. Mais on observe depuis quelques années un intérêt grandissant pour le climat de la part de nouvelles organisations, comme celle de Jeff Bezos. Ces fondations font un travail essentiel mais elles se focalisent sur des actions locales ». Sans une volonté politique globale sur le long terme, les sommes promises – aussi énormes soient-elles – ne viendront pas à bout de la crise climatique.
« Le déficit de financement pour la biodiversité est de l’ordre de 700 milliards de dollars par an ! Donc les entités étatiques continueront à jouer un rôle clé dans l’équation car sans eux, il n’y aura point de salut », assure Basile van Havre. Pour la seule Union européenne, le budget 2022 prévoit 1,9 milliard d’euros en faveur de l’environnement et l’action pour le climat… Les cinq milliards promis les milliardaires apparaissent donc comme une goutte d’eau dans l’océan. Le coprésident de la CDB va plus loin, affirmant que les États et les milliardaires doivent agir de concert. « Récemment, au Canada, un partenariat a été noué entre les philanthropes et le gouvernement fédéral : 500 millions de dollars ont été mis sur la table par chaque partie. Cela a permis d’aller beaucoup plus vite, beaucoup plus loin ». Car les Etats seuls ne font pas toujours preuve d’exemplarité. Lors de la COP de 2009 à Copenhague, les pays développés avaient ainsi promis 100 milliards de dollars par an aux pays les plus démunis jusqu’en 2020 pour faire face aux défis climatiques. Un rapport de l’OCDE a révélé en 2019 que seulement… 80 milliards avaient effectivement été fournis.
Selon une enquête menée par la Rockfeller Philanthropy Advisors et Campden Wealth en 2020 auprès de personnes à la fortune nette moyenne de 1,2 milliard de dollars, les dons affluaient en majorité en faveur des secteurs de l’éducation et de la lutte contre la pauvreté. L’environnement ne se classait qu’en neuvième position. « La question de la réduction de la pauvreté et l’accès à l’éducation sont indissociables des crises climatiques et de la biodiversité, explique Bastien van Havre. Ce qui est nouveau est cet intérêt croissant pour ces thématiques, et il était temps ». En France, selon le dernier baromètre réalisé par France Générosités en 2020, la cause environnementale représentait 6% des dons. Si ce chiffre est encore faible, le syndicat professionnel constate une augmentation de 3 à 7% sur les quinze dernières années. Par ailleurs, selon un sondage réalisé en 2020, la protection des animaux est au quatrième rang des causes jugées les plus prioritaires par les Français (24%) – en 2018, elle était au 10e rang. La protection de l’environnement se classe, elle, à la 9e place (18%), elle était en 6e position en 2019 mais « l’année 2020 avec la pandémie a bouleversé les priorités », note France Générosités.
Contactée par L’Express, le Dr Rebecca Gooch, directrice de la recherche à Campden Wealth, affirme que « les plus riches sont de plus en plus conscients de l’importance de la conservation de l’environnement à mesure que les menaces, telles que la déforestation ou la pollution, augmentent ». La chercheuse espère désormais que le don de 5 milliards de dollars inspire d’autres donateurs fortunés. « C’est le bon moment pour commencer à agir ». Et qui sait, conduire à une multiplication d’initiatives privées qui viendraient s’ajouter aux efforts déjà engagés par de nombreux gouvernements à travers le monde. Car la crise environnementale ne se résoudra qu’avec le concours de tous les citoyens.
(L’Express)