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Parmi les sociétés inscrites au registre du commerce de Genève, 13 638 n’ont pas d’activité réelle et souvent pas d’employé. Alors, à quoi servent-elles ?
Au 18, rue de Genève, dans un immeuble qui jouxte l’école de la Place-Favre à Chêne-Bourg, l’ONG suisse Public Eye a recensé 51 entreprises, avec une moyenne de 1,4 employé par unité. Ce même bâtiment abritait une fiduciaire qui a longtemps servi d’organe de révision au cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, rendu tristement célèbre lors du scandale des Panama Papers. Un autre bâtiment, au 15, rue du Cendrier, abrite pas moins de 91 sociétés. Que font dans la cité de Calvin toutes ces entreprises-boîtes aux lettres qui n’ont pas d’activité opérationnelle ou commerciale, qui sont domiciliées dans des cabinets d’avocats ou de notaires, et qui partagent un même administrateur avec une dizaine d’autres sociétés tout aussi fantomatiques ?
Public Eye, qui a recensé 13 638 coquilles vides à Genève, soit le tiers des sociétés du canton, ne répond pas directement à la question. « Les sociétés dépourvues de substance ne sont pas nécessairement vouées à des activités douteuses. Nous n’affirmons donc pas que toutes ces entités, ou les personnes qui profitent de leur création, fraudent le fisc dans leur pays ou commettent un crime financier », écrit prudemment l’ONG. En d’autres termes, toutes ces entités offshore n’ont pas forcément une activité délictueuse, mais elles aspirent toutes au même résultat : dissimuler les personnes physiques qui se cachent derrière ces coquilles vides;
*La Suisse abrite 2 600 milliards de dollars
Genève n’est pas le seul paradis fiscal de la Suisse. Le canton du Tessin compte 9 816 sociétés offshore, celui de Fribourg, 3064, et le petit canton de Zoug (130 000 habitants), 6 306. L’enquête n’a pas été menée à Zurich, l’autre principale place financière du pays. Les raisons de la multiplication de ces boîtes aux lettres ? Sous la pression des États-Unis et de l’Union européenne, la Confédération a mis fin à son célèbre secret bancaire. Dorénavant, si le fisc français adresse une demande à Berne, il obtient une réponse. On a pu le voir concernant les milliers de comptes détenus par des Français à UBS.
En revanche, la Loi sur le blanchiment (LBA) concerne les banques, mais toujours pas les fiduciaires, les avocats, les notaires, les fondations. Ils n’ont pas l’obligation de communiquer aux autorités d’éventuels soupçons de blanchiment d’argent de la part de leurs clients… Cette « anomalie » n’a pas échappé aux fraudeurs du monde entier. Ils ne planquent plus directement l’argent dans une banque, ils créent une société offshore. Cela coûte juste un peu de sous pour payer un loyer et un administrateur à temps très partiel. Fort heureusement pour eux, « la Suisse refuse de se doter d’un registre public des bénéficiaires ultimes des sociétés, qui permettraient d’identifier les personnes physiques », rappelle Public Eye. La discrétion est toujours garantie.
En 2020, en pleine pandémie, la Suisse, numéro un mondial de la gestion de fortune, avec 2 600 milliards de dollars dans ses coffres, a encore vu ses avoirs progresser de 7,3 %.
(Le Point)