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Aujourd’hui, il est capable de sonder l’intérieur d’un potimarron avec un degré de précision de 0,4 millimètre (mm). Demain, il permettra aux chercheurs d’analyser notre cerveau avec un niveau de détail encore plus grand : 0,1 à 0,2 mm, soit dix fois la résolution de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) actuelle. Dans les sous-sols de NeuroSpin, le centre de recherche du CEA qui héberge ce nouvel équipement, les scientifiques savourent le moment. Après vingt ans de développement en interne à Saclay mais aussi à Belfort chez Alstom, la machine à IRM la plus puissante du monde est opérationnelle.
« Les chercheurs qui étudient le cerveau vont avoir à leur disposition un outil unique », se réjouit Lionel Quettier, ingénieur et chef de projet pour la partie aimant de l’IRM. Long de 5 mètres et pesant 130 tonnes, il fonctionne avec un champ magnétique de 11,7 Teslas ce qui lui permet d’obtenir une résolution d’image unique au monde. « Le signal disponible – c’est-à-dire les informations que l’on va vraiment récupérer – augmente très rapidement avec la valeur du champ magnétique. Quand on passe de 3 teslas – le seuil utilisé dans les machines équipant les hôpitaux en France – à 11,7 teslas, il est multiplié par dix », confirme Cécile Lerman, ingénieure et cheffe de projet pour la partie IRM.
Cette nouvelle loupe mettra encore un peu de temps avant de délivrer son plein potentiel. « Le microscope fonctionne. On a une première image. Cependant nous allons jouer, pendant les prochains mois, avec les différents paramètres de l’aimant afin d’ajuster la clarté et la résolution, explique Lionel Quettier. « Il y a encore beaucoup de choses à mettre en place et à développer sur la partie imagerie », complète Cécile Lerman. Par exemple, l’appareil utilise une antenne de 500 mégahertz dont le rôle est d’envoyer des ondes radio vers le cerveau et de capter le signal émis par les tissus. « Cet élément fondamental peut encore être perfectionné. Un nouveau modèle devrait voir le jour, permettant d’homogénéiser les images mais aussi d’accélérer les examens des futurs patients », détaille Cécile Lerman. Les chercheurs planchent aussi sur des logiciels capables de prendre en compte les mouvements de la tête car en dessous d’un demi-millimètre de résolution spatiale, le simple fait de respirer gêne considérablement la production d’images nettes.
Bien sûr, des autorisations pour « imager » des volontaires humains seront également nécessaires. Pour l’instant, au niveau européen et américain, il est impossible de dépasser le seuil de 8 teslas, même si des appareils à 11,7 teslas sont déjà utilisés sur de petits animaux. « Par expérience, nous savons qu’il peut s’écouler un peu plus d’un an entre les premières images – traditionnellement effectuées sur des légumes – et les premiers tests sur l’homme », confie Cécile Lerman. Mais une fois cette étape franchie, l’IRM à fort champ magnétique devrait permettre à la science de faire de nombreux progrès.
* »On va pouvoir s’intéresser à de nouvelles molécules »
« On sait que le cerveau est constitué de plusieurs zones qui ont chacune un rôle fonctionnel. Avec l’imagerie actuelle, le rôle des populations de neurones est un peu noyé dans la masse, puisque la résolution est trop grossière », constate Cécile Lerman. De même, si les chercheurs connaissent depuis longtemps les fibres de matière blanche les plus importantes, dont la fonction est de transporter des informations d’un point à un autre, il reste encore un monde de petits faisceaux à explorer et à analyser. « C’est comme passer des autoroutes aux départementales voire aux petits chemins », s’enthousiasme la chercheuse. Dans le laboratoire de NeuroSpin, une équipe travaille déjà (à 7 teslas) sur le rôle de ces fibres courtes dans l’autisme. Et ce n’est qu’une des nombreuses pistes de recherches possibles.
« En suivant des personnes sur plusieurs années, et en regardant les images de manière rétrospective, nous avons l’espoir de trouver des biomarqueurs précoces de certaines maladies, précise Cécile Lerman. Souvent lorsque les patients passent une IRM, leur pathologie est déjà à un stade avancé. Pour Alzheimer, par exemple, on constate une atrophie de l’hippocampe ». A l’avenir, ce genre d’atteinte anatomique pourrait être détectée plus tôt grâce à une imagerie plus perfectionnée. A moins que l’activité des fibres de matière blanche ne serve elle-même de signe précurseur d’une maladie.
(L’Express)