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Avec Omicron s’opère un changement de paradigme : baisse de la gravité, efficacité de l’immunité mémoire, infections peu contrées par le vaccin… Les raisons en défaveur d’une quatrième dose précoce s’accumulent.
Faut-il rapidement programmer la quatrième dose ou la repousser ? La réserver aux personnes les plus à risques ou l’élargir à toute la population ? Est-elle efficace face à Omicron, le sera-t-elle face aux futurs variants ? La multiplication des doses pourrait-elle entraîner des complications immunitaires ? Si certaines peurs sont injustifiées, les questions légitimes entourant la quatrième dose sont nombreuses, autant parmi les citoyens que les scientifiques.
Déterminer la meilleure stratégie vaccinale est loin d’être aisé. Il faut prendre en compte la lassitude des populations, anticiper l’évolution de l’épidémie en fonction des caractéristiques du futur variant, jauger l’efficacité de l’immunité acquise par l’infection ou les vaccins, etc. Aujourd’hui, les données scientifiques restent trop préliminaires pour trancher. Néanmoins, la communauté scientifique apparaît réservée sur l’intérêt d’une quatrième dose précoce, notamment parce que l’épidémie semble progresser favorablement. « Nous verrons avec l’évolution des résultats des essais cliniques, mais aujourd’hui, il n’y a pas d’arguments pour lancer la quatrième dose, même si cela peut changer rapidement », résume le Pr Alain Fischer, pédiatre et immunologue, président du conseil d’orientation de la stratégie vaccinale.
*La quatrième dose peu efficace contre l’infection d’Omicron
Le débat sur la nécessité de l’injection d’une quatrième dose est né à la lumière d’études scientifiques montrant que le taux d’anticorps généré par la troisième dose diminue avec le temps, de la même manière qu’il diminue après la deuxième injection. Un phénomène faisant redouter une baisse de protection contre l’infection – d’autant plus avec Omicron qui échappe en partie au système immunitaire -, et aussi contre les formes graves, ce qui a toujours été le principal intérêt des vaccins. Israël a été le premier pays à expérimenter ce nouveau rappel. Lundi, des chercheurs communiquaient pour la première fois sur les données récoltées lors d’un essai clinique. « Le vaccin, qui était excellent contre Alpha et Delta, ne l’est plus suffisamment contre Omicron », résumait dans la presse le Pr Gili Regev-Yochay, directrice de l’unité d’épidémiologie des maladies infectieuses de l’hôpital Tel HaShomer (Tel-Aviv).
Son équipe et elle ont remarqué que la quatrième dose augmente les taux d’anticorps, et ce de manière plus importante encore qu’avec la troisième. Néanmoins, de nombreuses personnes ayant reçu une quatrième dose du vaccin Pfizer ou Moderna ont tout de même été infectées par Omicron, même si en moins grande proportion que celles du groupe témoin qui n’a pas reçu de quatrième dose. Une conclusion logique, puisque, comme le rappelle Morgane Bomsel, virologue et chercheuse du CNRS à l’Institut Cochin : « Les vaccins perdent de l’efficacité contre les variants que les anticorps induits par vaccination ne reconnaissent plus. » Les bénéfices de la quatrième dose apparaissent donc limités pour contrer l’infection d’Omicron. A tel point que les chercheurs israéliens estiment que la quatrième dose ne doit être recommandée qu’aux personnes les plus à risques. « Il faut rappeler qu’Israël n’a pas publié de résultats concrets, tout ceci relève pour l’instant de l’opinion d’un scientifique interviewé et non pas d’un article scientifique », avertit Eric Caumes, infectiologue à l’Hôtel-Dieu (AP-HP).
*La mémoire immunitaire, suffisante pour lutter contre les formes graves ?
L’équipe israélienne ne dit d’ailleurs rien sur l’efficacité de la quatrième dose contre les formes graves provoquées par Omicron, or il s’agit du point le plus important. Mais certains éléments permettent d’être optimiste. Car une population exposée au SARS-CoV-2 ne produit pas seulement des anticorps, elle développe aussi une réponse immunitaire mémoire. « Les anticorps disparaissent au bout de quatre à huit mois – sur cette base, il faudrait se vacciner tous les six mois -, mais il y a aussi les cellules immunitaires mémoire, indique le Pr Yves Buisson, épidémiologiste et président de la cellule Covid-19 de l’Académie nationale de médecine. La réponse immunitaire est suscitée par une infection, surtout si celle-ci est symptomatique – plus la forme est sévère, plus le système immunitaire est mis en jeu et plus la mémoire est forte -, mais aussi par les vaccins. Elle implique plusieurs clones de lymphocytes B et T, qui se souviennent des antigènes à attaquer. » Si l’hôte est de nouveau exposé au pathogène, les clones ne vont pas empêcher l’infection, mais vont se réveiller, se multiplier et produire des anticorps. « Ils vont détruire les cellules infectées, ce qui suggère que l’immunité cellulaire protège contre les formes graves », ajoute le Pr Buisson.
Son autre intérêt est que la mémoire cellulaire persiste plus longtemps que les anticorps. Seul problème : mesurer sa durée est bien plus complexe que celle du taux d’anticorps. Et les études sur la question manquent. « Il nous faut plus de recul pour estimer cette persistance, mais une chose est sûre, elle est plus durable que les taux d’anticorps », affirme le Pr Buisson. En se basant sur la mémoire immunitaire développée contre les autres familles de coronavirus, il semble probable que celle du SARS-CoV-2 ne dure pas toute la vie, mais peut-être plusieurs années. « Elle paraît assez longue. Au bout d’un an, ces cellules mémoire sont encore présentes, et peuvent se réactiver en cas de nouvelle infection. Elles sont aussi plus résistantes face aux variants, car elles peuvent cibler plusieurs protéines virales et pas uniquement la Spike [la protéine qui permet au virus de s’accrocher à nos cellules] », constate le Pr Olivier Schwartz, à la tête de l’unité Virus et Immunité de l’Institut Pasteur. « Par ailleurs, le rappel vaccinal, qui induit une petite dose de Spike, aide le système immunitaire à restimuler ces cellules ‘mémoire’ dont le nombre s’est réduit, afin qu’elles se multiplient », précise Morgane Bomsel. En mesurant la persistance de la mémoire immunitaire, il serait alors possible de programmer des rappels vaccinaux en fonction.
Une hypothèse à mettre en rapport avec les dernières études scientifiques
démontrant qu’Omicron provoque moins de formes graves que les souches précédentes. Début janvier en France, il représentait 88% des tests positifs contre 12% pour Delta, mais seulement 52% des hospitalisations conventionnelles et surtout 31% des réanimations (69% pour Delta), indique la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. « Cette moindre gravité s’explique par les propriétés intrinsèques d’Omicron qui semble plus prompt à infecter les cellules des sphères ORL supérieures et moins les cellules pulmonaires, et aussi probablement parce qu’il attaque une population semi-immunisée qui a déjà été vaccinée ou infectée », analyse Eric Caumes. Une partie de la population qui possède, par conséquent, une mémoire immunitaire.
Or, si les vaccins sont moins efficaces pour lutter contre l’infection, mais que les formes graves sont de plus en plus rares – que ce soit grâce aux propriétés du variant en lui-même ou grâce à l’immunité cellulaire boostée par les vaccins -, l’intérêt d’une quatrième dose précoce est d’autant plus réduit. D’autant qu’il existe d’autres arguments en sa défaveur.
*La répétition des injections pourrait provoquer « des problèmes de réponse immunitaire »
Le 11 janvier, l’Agence européenne des médicaments (EMA) prévenait que la répétition des injections tous les quatre mois pourrait provoquer « la lassitude de la population », un risque qui ne peut être ignoré en France, alors que les tensions contre le passe vaccinal sont déjà présentes. L’instance européenne s’inquiétait également « de potentiels problèmes de réponse immunitaire » liés à une vaccination répétée. Une déclaration parfois mal comprise qui a généré quelques fantasmes et peurs irraisonnées, voire des fausses informations. Une chose est sûre, le système immunitaire ne peut pas être épuisé à force de vaccins. « Regardez le programme vaccinal des nourrissons [11 vaccins en 18 mois], si les antivax trouvent ça ‘scandaleux’, des immunologistes ont prouvé qu’on pourrait leur donner 1000 autres antigènes sans épuiser leur système immunitaire », insiste Yves Buisson. « Il n’y a aucune étude qui suggère qu’on pourrait épuiser le système immunitaire à force de vaccins, et je n’en vois pas la logique, confirme Morgane Bomsel. Nous nous défendons d’ailleurs tous les jours contre une multitude de pathogènes différents. »
En revanche, il n’est pas exclu que la répétition de doses dans une courte période contre une même maladie puisse se révéler néfaste. « Si on revaccine des personnes contre la même maladie, alors qu’elles ont déjà un taux élevé d’anticorps dans le sang, un conflit antigène anticorps pourrait survenir et provoquer une réaction inflammatoire locale, le phénomène d’Arthus », note Yves Buisson. Une réaction désagréable, précoce, mais sans gravité et survenant surtout chez les sujets hyperimmunisés par les vaccins diphtérie-tétanos. En revanche, la possibilité « d’habituer » notre système immunitaire à une menace, qu’il finirait par ignorer à force de vaccination – une hypothèse en vogue dans certains cercles antivax -, relève de la pure désinformation. « Cela ne repose sur rien, en tout cas sur aucune base scientifique, balaie le Pr Buisson. Le système immunitaire est programmé pour réagir contre l’introduction d’éléments étrangers dans notre organisme, comme les parasites, bactéries. En cas de réintroduction, il réagit de mieux en mieux et de plus en plus fort. »
*Un vaccin avant l’hiver pour les personnes fragiles, et c’est tout ?
Quoi qu’il en soit, les plus hautes autorités de santé internationales, dont l’Organisation mondiale de la Santé ou l’EMA, estiment qu’une stratégie consistant à combattre la pandémie de Covid-19 à coups de doses de rappel rapprochées n’est pas viable. Alors quelle est la solution ? « Je n’ai jamais entendu d’instance scientifique française ou étrangère se positionner en faveur d’une politique poussant à une injection tous les quatre mois, il n’y a que les antivax qui le croient, indique Yves Buisson. Et ce parce que selon le schéma idéal – qui est certes théorique mais qui prend de plus en plus corps -, nous allons bientôt sortir de la pandémie actuelle et voir le Covid-19 devenir endémique, avec des recrudescences hivernales, à l’exemple de la grippe. »
Dans ce cas, il suffirait de vacciner les personnes les plus à risque, les mêmes que pour la grippe : les personnes âgées dont le système immunitaire fonctionne moins bien – immunosénescentes -, les femmes enceintes, les personnes atteintes de comorbidités telles que le cancer etc. Et pas le reste de la population ? « Il faut faire attention avec les prédictions, car cela dépendra forcément de la gravité des futurs variants, mais c’est notre espoir », avance Yves Buisson. Une analyse partagée par Eric Caumes : « La quatrième dose serait logique à l’arrivée de l’hiver prochain chez les personnes fragiles, comme pour la grippe. Mais cela me semble difficile de continuer comme ça en population générale. Et il ne faut pas oublier qu’une des caractéristiques classiques des épidémies est qu’au fil du temps, les vagues deviennent de moins en moins graves, même s’il faut rester prudent et qu’il y aura probablement d’autres vagues avant que la maladie ne devienne endémique. »
*L’espoir des vaccins « deuxième génération »
Il faudra donc espérer qu’aucun futur variant alliant l’infectiosité d’Omicron et la gravité de Delta ne survienne. « Le virus va continuer d’évoluer – toutes les mutations ont été observées, pas toutes les combinaisons -, mais il est très difficile de prédire comment, affirme le généticien François Balloux, professeur et directeur de l’institut de génétique de l’University College de Londres, spécialiste de l’évolution des pathogènes. Les mutations auxquelles nous nous attendons principalement sont des changements relativement progressifs de la protéine Spike qui permettraient de contourner nos défenses immunitaires, à l’image d’Omicron, car c’est ce que nous constations avec la grippe ou d’autres coronavirus. » Dans ce cas, une partie de nos défenses immunitaires seraient hors jeu, mais pas toutes. « Je pense que nous pourrions avoir un nouveau variant chaque hiver, qui serait théoriquement de moins en moins préoccupant, heureusement car le phénomène peut théoriquement durer des décennies », ajoute le généticien.
D’ici là, les spécialistes espèrent que les vaccins « deuxième génération » seront prêts. Ces derniers devront conférer une immunité meilleure et plus longue, ou induire une protection spécifique contre Omicron… S’il n’a pas été remplacé par un autre variant. « Il est aussi possible de faire des vaccins ARNm polyprotéiques, qui induisent une réponse immunitaire contre différentes protéines Spike : de Delta, d’Omicron, etc. Plusieurs techniques sont actuellement étudiées par les laboratoires, détaille le professeur Mathieu Molimard spécialiste de pharmacologie clinique au CHU de Bordeaux. Si nous avons des anticorps qui ciblent les principales mutations de la Spike, nous pourrions finir par le coincer au fond du couloir, parce que le virus reste limité dans ces mutations : ses Spike doivent rester en capacité de se fixer aux récepteurs ACE2 de nos cellules qui, elles, ne mutent pas ».
Reste à savoir quand ces vaccins seront disponibles. « Entre les essais cliniques, les autorisations à obtenir, les capacités de l’industrie à les produire, il est compliqué de répondre précisément, mais il est difficile de penser que nous aurons ces vaccins au mieux avant le deuxième semestre 2022 », estime le professeur Odile Launay, infectiologue à l’hôpital Cochin à Paris. Une autre solution serait un vaccin par spray nasal, qui permettrait de développer une défense immunitaire des muqueuses nasales et des voies aériennes supérieures afin de bloquer les portes d’entrées du virus. « Des essais cliniques sont en cours, mais il faudra du temps car le développement de tels vaccins est plus long et bien plus difficile. Mais même s’ils arrivent tard, ce sera toujours utile, notamment pour les enfants », espère le Pr Buisson.
(L’Express)