Par Mustapha Attia
En science politique, on désigne par le terme «dialogue national» un type de réponse procédurale qui ne porte pas forcément sur le fond des demandes des citoyens, mais donne aux élites la possibilité de s’exprimer. L’idée n’est pas absurde. Puisque le principal reproche de l’élite serait de ne pas être suffisamment entendue, quel meilleur moyen de lui donner la parole que de lui demander de suivre les troupeaux de la foule. Il s’agit d’une avancée en matière de démocratie participative, mais si le dialogue est improvisé, instrumentalisé, réduit aux adeptes et aux disciples, l’apparent respect des règles du jeu démocratique ne saurait cacher la réalité d’une dangereuse dérive autoritaire. Le risque est de tuer l’idée même de démocratie par une mécanique institutionnelle qui, au nom d’une participation citoyenne, engendre un clientélisme d’un autre âge.
Dans un paysage politique qui a atteint un summum de confusion et où les animosités sont persistantes et les politicards virtuoses dans l’art de se faire coopter et de se maintenir au pouvoir, l’issue de ce dialogue reste incertaine. À part les exclus, plusieurs partis et organisations nationales ainsi que des personnalités indépendantes l’ont boycotté, parce que, par calcul, ils espèrent prospérer sur des braises qu’il convient seulement d’attiser. Ils jouent le pourrissement afin d’apparaître, le jour venu, un rempart contre le désespoir. Ceux qui vont s’y engager vont accepter un saut dans l’inconnu. Un scénario horrible qui contribuera, notamment dans les catégories populaires, à nourrir le désenchantement, puis la défiance, le rejet et, désormais, la sécession démocratique. Nos politicards sont fondamentalement une espèce égoïste. La plupart d’entre eux sont orgueilleux, arrogants et animés d’un vif sentiment de rivalité. Au lieu d’appeler la raison pour arbitrer la querelle, ils défendent des intérêts étriqués, se livrant à des pratiques de politique politicienne et cherchant les faveurs des plus larges franges de la population. Ils font même de la surenchère et de mauvais calculs, ce qui d’ailleurs n’échappe pas aux citoyens avertis. Il ne faut pas croire que, derrière ce spectacle dérisoire, la démocratie demeure intacte, bien au contraire, elle est désormais l’objet d’un grand désarroi. Nous considérons en effet que dénoncer ces torts ne revient pas à dénigrer, mais bien à consolider le dialogue national, et la crédibilité pour y parvenir. Cette ardente nécessité dans le processus de la démocratie participative, nous devrons veiller à la protéger des pressions qui ont pris plusieurs formes alarmantes. Le dialogue national est bien plus qu’une organisation de participations citoyennes ou une «concession procédurale». Il nécessite la délibération contradictoire, une participation de l’opposition, une stricte séparation des pouvoirs, une vérification de la conformité constitutionnelle. À tous ceux qui imaginent pouvoir se passer de ces garde – fous. C’est impossible car, comme l’écrivait au dix-huitième siècle, l’un des pères de la démocratie américaine, James Madison, «il faudrait pour cela que les hommes soient des anges». L’histoire de la démocratie, depuis l’Antiquité grecque et carthaginoise des «tyrans», est parsemée de «dialogues» autoritaires, voire totalitaires. L’air du temps politique n’est plus à l’exclusion idéologique, à l’«antisystème», aux choix «disruptifs», au «dégagisme», ou plutôt, au « démago-dégagisme». Nous sommes tous des démocrates contre l’infâme «dictateur». L’ennui, c’est que nous manquons de dictateur, aussi passons-nous notre temps à l’inventer ! L’esprit démocratique existe chez le président de la République sans aucun doute, mais il n’est pas encore largement manifesté. Il aurait pourtant tout à gagner à se couler plus souvent dans les habits d’un grand militant de la démocratie en transformant son esprit démocratique, timidement manifesté, en force dynamique.