La population de Tozeur a récemment manifesté de façon vigoureuse pour protester contre la non-desserte de l’aéroport de Tozeur par des vols réguliers internationaux. Cela attire l’attention sur la dégradation de la situation touristique dans la région, qui est en fait, l’aboutissement d’une crise profonde du tourisme saharien depuis dix ans.
Ahmed Samoui, ancien ministre et fin connaisseur des réalités touristiques tunisiennes, livre à l’attention de nos lecteurs ses réflexions sur le tourisme saharien, après avoir participé à une table ronde organisée par l’association “Les amis du Djerid” qui a eu lieu récemment à Tunis.
Afin d’essayer de sortir de la perception réductrice et négative de tourisme balnéaire, de masse et bon marché, les responsables du tourisme tunisien avaient préconisé depuis les années 80 la diversification du produit touristique. C’est ainsi que plusieurs nouveaux produits ont été lancés : golf, tourisme de congrès, des plaisances, thalassothérapie, tourisme saharien.
L’objectif était l’enrichissement du produit touristique tunisien. En fait, l’image du tourisme tunisien sur les marchés émetteurs est restée celle d’un produit balnéaire monolithique de masse et donc plutôt bas de gamme.
Il y a lieu d’excepter tout de même deux nouveaux produits qui ont émergé de cette tentative de diversification vouée à l’échec dans son ensemble, il s’agit du tourisme saharien et de la thalassothérapie.
En effet, ces deux produits ont accompli un certain cheminement et acquis un contenu consistant. La thalassothérapie compte aujourd’hui plus de cinquante centres et le tourisme saharien a permis de réaliser une infrastructure hôtelière qui compte plus de 10.000 lits.
L’apogée du tourisme saharien a été atteint en 2004 avant de subir une dégradation de sa fréquentation.
Spécificité du produit
Il s’agit de mettre à profit la proximité de l’Europe pour instaurer un tourisme de découverte. C’est la découverte de l’histoire et de la culture des oasis, une civilisation centrée sur l’adaptation de l’homme à un milieu hostile qui a donné naissance à une civilisation. Trois pôles touristiques ont été conçus pour le développement du tourisme saharien.
Le Djérid avec Tozeur et Nefta. Le Nefzaoua avec Kebili et Douz. Le sud-est : Tataouine et la région des Ksours avec les villages de Chenini et Douiret.
Les objectifs des autorités touristiques de l’époque consistaient à créer un produit touristique indépendant et nouveau ayant ses propres spécificités, son image, sa clientèle et son marketing, accessible directement à partir de l’Europe. Ce produit devait être typique, mobile et itinérant avec un séjour utile et fructueux.
Avec deux portes d’accès : les aéroports de Djerba-Zarzis et Tozeur-Nefta. C’est pourquoi l’État avait procédé à des réalisations d’infrastructures importantes, notamment la construction de routes avec la mise hors d’eau et le bitumage de la route des chotts, ainsi que la modernisation du réseau routier du sud-est ainsi que celles qui relient les oasis de montagne.
Quel potentiel pour le marché touristique saharien ?
Le marché actuel du tourisme saharien relatif aux pays européens émetteurs de touristes est de 2 millions de visiteurs par an. Onze pays limitrophes du Sahara se partagent ce marché. Il est susceptible de progression dans la mesure où certaines mesures adéquates seront prises dont l’adoption de modes d’hébergement appropriés, la conception de circuits adéquats. Le tourisme saharien tunisien reçoit 1 million de touristes par an soit 50% du marché.
En 2004, 50% des visiteurs ont accédé directement par voie aérienne et 50% par voie terrestre selon des excursions à partir des zones balnéaires.
Vingt compagnies étrangères ont desservi l’aéroport de Tozeur, avec prédominance des compagnies françaises. La chute brusque de la fréquentation a été accélérée par les évènements sécuritaires post-révolutionnaires et porte notamment sur le marché français.
Un état des lieux consternant
Le secteur hôtelier connaît de grandes difficultés. C’est ainsi qu’à Tozeur 2500 lits sur 3500 sont fermés, 19 hôtels sont fermés sur 34 soit plus des 2/3, les hôteliers ont quitté leurs postes et abandonné leurs établissements, laissant juste quelques gardiens. 50% de l’emploi hôtelier a été perdu soit 1500 emplois directs.
Dar Chraïet, le seul musée digne de ce nom dans la région et la principale attraction à caractère culturel est fermé depuis plus de deux ans.
On estime le déficit de recettes hôtelières dans la région de Tozeur à 25 MD par an soit 75 MD pour les trois ans. Ce qui a porté un coup dur à l’économie de la région.
Il faut dire que la baisse sensible de la fréquentation touristique a touché non seulement l’hôtellerie, mais aussi les métiers de l’artisanat ainsi que les activités commerciales et de services : transport… pour l’ensemble du tourisme saharien.
La stratégie de relance
Selon M. Ahmed Smaoui, la stratégie de relance du tourisme saharien doit être entamée par le rétablissement de la sécurité des personnes et des biens dans le pays et la région, s’agissant d’un tourisme itinérant et comportant des randonnés à travers le Sahara. Il souffre des limitations à la libre circulation, découlant de l’instauration de zones sécuritaires tampons.
Une grande campagne de nettoyage s’impose dans toute la région pour débarrasser les oasis, les villes et les bas-côtés des routes de tous les dépôts d’ordures et de gravats. Ce spectacle affligeant que nous subissons ne saurait être imposé à nos visiteurs.
Il faut préparer un programme destiné à empêcher la fermeture de nouveaux hôtels et à préparer la réouverture des établissements fermés : remise en état du bâti, réparation des équipements, rénovation. Cela implique des mesures d’ordre pratique ainsi que des programmes de financement à mettre au point avec les banques et les autorités touristiques.
Les dispositions à prendre nécessitent plusieurs mois de façon à être opérationnelles à l’automne 2014. En outre, le produit touristique saharien a besoin d’être complété et renforcé par diverses mesures parmi lesquelles la construction d’un véritable centre de congrès, d’un équipement structurant prioritaire dont l’absence se fait sentir lourdement.
La réouverture du musée Dar Chraïet s’impose également ainsi que la rénovation des différents centres d’animation de Abderrazak Charaïet.
Il est nécessaire de multiplier les centres d’animation et établissements de loisirs et de restauration.
En effet, en dehors des hôtels il y a peu de restaurants touristiques à Tozeur et Nefta : un seul restaurant est classé deux fourchettes alors que les six autres tiennent davantage de la gargote que du véritable restaurant.
Les hôtels construits dans la région ont reproduit le modèle hôtel classique du type balnéaire adopté à Hammamet et à Sousse, alors qu’il aurait fallu des modes d’hébergement inspirés du style architectural traditionnel local avec de petites unités pittoresques plus intégrées au milieu et plus adaptées au désert. Il est indispensable d’organiser un très grand événement pour la relance du tourisme saharien qui fera l’objet d’une vaste compagne médiatique, avec des têtes d’affiche de réputation mondiale.
Redorer le blason de Tozeur
Tozeur à l’avantage d’être une belle vitrine, car la ville possède tous les attributs du tourisme saharien et plusieurs atouts dont la qualité de son oasis, la richesse de son patrimoine culturel et artistique. Or depuis le déclenchement de la Révolution l’oasis est victime de plusieurs “agressions” qui ont pollué l’environnement : constructions anarchiques, dépôts de gravats et de déchets domestiques, recul des cultures, dégradation de la palmeraie. Les autorités maîtrisent difficilement la sauvegarde de l’oasis : ce dysfonctionnement mérite une solution urgente. Il faut reconnaître que Tozeur dispose d’une infrastructure hôtelière de qualité, mais qu’elle a besoin de procéder à un toilettage en profondeur pour redorer son blason et récupérer son prestige.
La problématique complexe du transport aérien
Il faut dire que le charme et l’originalité du tourisme saharien résident dans le dépaysement total des touristes européens, ce qui implique l’accès direct par avion à Tozeur à partir des principales capitales européennes.
Ainsi la desserte aérienne régulière de l’aéroport de Tozeur-Nefta à partir de l’Europe par les principales compagnies de transport aérien constitue un impératif fondamental pendant une grande partie de l’année. Il en est de même pour les vols charters et des compagnies low-cost ainsi que les dessertes de Tozeur par vols internes à partir de Tunis.
TUNISAIR, en raison du déficit de certaines dessertes directes, ne peut continuer à assumer seule ce rôle.
C’est pourquoi les pouvoirs publics doivent soutenir les vols directs et réguliers internationaux, à travers notamment le fonds de compétitivité du tourisme tunisien, afin de programmer des séjours de tourisme saharien.
Les compagnies low-cost doivent être sensibilisées aux avantages accordés par l’Open sky pour l’aéroport de Tozeur afin de dynamiser la destination.
À la recherche d’une locomotive
La réussite du lancement d’une destination touristique implique nécessairement une “locomotive”, un établissement de grand luxe, emblématique du site en l’objet, un palace prestigieux destiné à symboliser la zone touristique et à accueillir les stars et les invités nécessaires à la médiatisation de la destination appartenant généralement au monde du show-business et de la presse.
Ce rôle a été assumé autrefois par le Sahara Palace de Nefta, tombé depuis dans le délaissement du fait des procédures administratives.
Le Tameghza Palace et d’autres établissements pourraient prétendre à la relève.
Derrière le défi à relever pour la relance du tourisme saharien, dépend en réalité l’avenir du tourisme tunisien traditionnel.
En effet la sortie de crise du tourisme saharien traduirait la capacité d’innovation et d’adaptation du tourisme tunisien aux mutations rapides et profondes des attentes de la clientèle touristique et des principaux acteurs et mécanismes du marché touristique mondial et européen en particulier.
Ridha Lahmar
Les multiples atouts et facettes
Le sud tunisien et notamment le Djerid, recèlent toutes les formes et atouts du tourisme saharien. En effet, on y retrouve le désert de sable et les champs de dunes, tels le site de Onk Jmel, le désert de pierres, appelé erg, sans oublier le désert de sel, tel le site des chotts El Djerid et El Fedjej, ainsi que les paysages de végétation et de plantations luxuriantes des oasis avec leur microclimat humide et leurs eaux courantes comme Tozeur, Nefta, El Hamma et Dguech. Ainsi que les oasis de montagne typiques : Tameghza, Midas et Chebik. Le tout dans un rayon d’une heure de voiture.
Par Ridha Lahmar