Par Hakim Ben Hammouda
La réflexion sur le découplage ne s’est pas limitée à l’Europe et aux Etats-Unis mais est également d’actualité en Chine. Ainsi, plusieurs études et analyses ont été publiées et soulignent la nécessité de se préparer à ce scénario et cette tendance d’évolution future de l’économie mondiale. Ces analyses sont apparues même dans le discours officiel chinois et une traduction chinoise du concept de découplage est même apparue sous l’appellation « Tuo gou », ce qui est assez significatif de l’importance accordée par les Chinois à cette évolution.
Dans les analyses chinoises, ce concept a eu plusieurs interprétations dont le body locking ou la fermeture qui a été même développée dans le quotidien officiel du parti communiste chinois et qui appelle à la réduction de la dépendance des entreprises américaines des importations des produits chinois. D’ailleurs, ces analyses sont à l’origine de l’apparition du concept de « circulation duale » dans les milieux officiels chinois depuis 2020 et qui appelle à trouver un équilibre entre la sécurité économique interne et l’ouverture.
Ces différentes analyses du découplage ont mis l’accent sur la fin de la globalisation et l’entrée dans un monde post-global qui sera basé sur le développement et le renforcement des capacités nationales. La lecture de ces analyses et de ces travaux sur le découplage m’a permis de mettre en exergue trois éléments communs à ces analyses. Le premier élément concerne la montée de la concurrence entre les grands pôles économiques du monde, particulièrement entre les Etats-Unis, la Chine et l’Europe. Cette concurrence est à l’origine des conflits et des guerres commerciales entre ces pôles.
Le second élément au cœur du monde post-global et de la tendance au découplage concerne la fragilité de la division du travail basée sur les chaînes de valeur dont la pandémie a démontré l’incapacité à résister aux grands défis.
Le troisième élément concerne l’importance des nouvelles technologies, particulièrement les réseaux sociaux qui ont montré leur fragilité face aux cyberattaques d’origine sécuritaire ou mafieuse.
Avec la montée de la crise de la globalisation, le concept de découplage, la réduction de la dépendance vis-à-vis de l’extérieur et le renforcement des capacités locales sont au centre des débats et des analyses des think tanks et des centres de décision. Mais, cette question ne se limite pas à la réflexion et au débat théorique, elle trouve aujourd’hui de plus en plus sa traduction dans les politiques publiques.
Le découplage dans les politiques publiques
Plusieurs pays ont commencé à mettre en place des politiques publiques qui cherchent à réduire la dépendance des grands pôles de l’économie globale et à renforcer les éléments au cœur de leurs dynamiques internes. Et, le premier de ces pays n’est autre que les Etats-Unis sous la présidence de Donald Trump qui a augmenté les tarifs douaniers appliqués sur les importations en provenance de la Chine. Par ailleurs, l’administration américaine a décidé d’interdire la vente d’un grand nombre de produits technologiques aux entreprises chinoises dont le grand équipementier téléphonique Hwawei, et tenté d’interdire leur présence sur des marchés stratégiques comme les marchés téléphoniques.
Les pays européens n’ont pas été en reste et ont également pris une série de décisions stratégiques qui vont dans la direction du découplage. Ces décisions se sont progressivement transformées dans des choix et une vision stratégique adoptée par l’Union européenne en 2021 sous l’appellation « La politique d’autonomie stratégique ouverte ». Cette politique cherche à contrôler les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques comme les nouvelles technologies, les ports et l’exportation des produits technologiques.
La Chine va également mettre en place des politiques pour faire face à ces choix stratégiques de la part des deux grands pôles de l’économie mondiale. Ainsi, la Chine a-t-elle développé sa stratégie connue sous l’appellation du « Plan China 2025 » qui cherche à construire un niveau d’autonomie de l’économie chinoise de 70% à l’horizon 2025. Même les résultats de ce programme sont en dessous des attentes, les objectifs de ce plan et des politiques chinoises s’inscrivent dans cette quête du découplage pour réduire la dépendance vis-à-vis du marché global.
Le découplage et l’avenir de nos grands choix et nos politiques publiques
Notre monde traverse une grande période de transformations et de mutations marquée par la fin du récit de la « globalisation heureuse » qui nous a enchantés au cours des dernières décennies. Au cours de ces transformations, le concept de découplage ou de déconnexion est devenu le nouveau cadre de formulation des politiques publiques et des visions stratégiques de l’avenir.
Notre pays doit prendre en considération ces grandes transformations, les tentatives de construction du monde post-global, les nouveaux concepts, les analyses qui préparent l’avenir et nos grands choix de demain. A ce niveau, nous devons tenir compte du concept de découplage et de déconnexion dans la définition de nos grandes priorités. Ce concept ne signifie pas dans mon analyse la sortie de l’économie globale ou une rupture avec le monde global mais le renforcement de nos capacités internes dans différents secteurs économiques stratégiques dont les secteurs industriels, énergétiques ou agricoles.
Les grandes transformations de notre monde exigent le développement d’une réflexion stratégique afin que nous développions nos positions stratégiques et nos politiques publiques pour le monde post-global.