Par Faouzi Bouzaiene
Rien n’aura servi pour stopper la progression du processus du 25 juillet.
Ainsi, après la consultation nationale visitée par plus de 500 mille participants, le référendum sur le projet de nouvelle Constitution aura bien lieu dans trois jours et ses résultats seront avalisés quel que soit le nombre de voix exprimées. Les successives et incessantes campagnes de déstabilisation du président Kaïs Saïed pour le faire revenir sur ses décisions unilatérales ou pour dresser l’opinion publique contre lui semblent n’avoir abouti à rien.
L’homme poursuit son bonhomme de chemin, imperturbable, et sa popularité, que l’on ne peut mesurer à cause d’une interdiction de deux mois et demi des sondages émanant de l’Isie pour la période référendaire, ne semble pas être altérée outre mesure si l’on considère (rien que cela) le nombre de partisans du « oui » inscrits dans la campagne référendaire officielle auprès de l’Isie (146 contre 7). Il faut bien se demander pourquoi, tandis que les opposants au projet de Kaïs Saïed, nombreux eux aussi, se montrent imbattables sur le plan de la communication et de l’occupation de l’espace médiatique national et étranger et celui des réseaux sociaux. Il apparaît ainsi que le public n’est attentif ni à leurs discours ni à leurs arguments et a choisi d’être sourd à tout ce qui peut lui rappeler un passé très proche. Un passé douloureux de l’avant-25 juillet 2021 qui a coûté cher à la réputation de l’ARP et celle de l’ensemble de la classe politique qui a montré et démontré son incapacité à gouverner et à mettre en place un régime démocratique selon les normes internationales et usuelles.
Les Tunisiens commettent peut-être une erreur stratégique en n’écoutant pas certaines alertes concernant notamment le projet de Constitution proposé au référendum pour la simple raison qu’elles viennent de ceux qu’ils jugent responsables des échecs de la décennie écoulée et de leur misère. Faut-il leur en vouloir ? Qu’ont fait Rached Ghannouchi et ses nombreux alliés nationaux et étrangers quand le pouvoir d’achat des Tunisiens s’érodait, quand les dettes de la Tunisie gonflaient, quand l’Etat s’effritait, quand les jeunes compétences fuyaient le pays et que les jeunes chômeurs désespérés se jetaient à la mer pour aller chercher l’espoir sous d’autres cieux ? Ce sont les questions qui taraudent l’esprit des uns et des autres.
Et ce ne sont là également que quelques exemples des souffrances endurées depuis 2011 sans qu’aucun président, aucun gouvernement, aucun parti politique ou personnalité publique ait su apporter la moindre solution aux multiples problèmes qui se sont accumulés tous les jours et dans tous les domaines. Cependant, la corruption, la contrebande, le terrorisme, le clientélisme, l’impunité, la justice à deux vitesses gagnaient du terrain dans une société tunisienne en proie à la détresse et au désespoir. Il est évident qu’il est trop tard pour ces alerteurs de se faire entendre aujourd’hui par une opinion qui ne souhaite désormais qu’une chose : ne plus revivre les années 2011-2021 et ne plus être gouvernés par des spéculateurs religieux et pseudo-démocrates. Peut-être aurait-il mieux valu pour ces derniers faire preuve d’humilité, reconnaître leurs fautes, présenter leurs excuses aux Tunisiens et se montrer plus coopératifs avec le processus du 25 juillet, ce qui aurait peut-être encouragé la tenue d’un vrai dialogue national.
La haute vague de polémiques et d’attaques visant le président de la République et chacune de ses entreprises, dépassant parfois le cadre de la liberté d’expression pour atteindre celui de la diffamation et de l’injure, a plombé l’atmosphère générale et acculé le président Saïed dans son isolement et entêtement.
Une autre posture de l’opposition plus constructive en termes de débat démocratique et de critiques objectives aurait pu ralentir le cours des événements et même l’inverser vers une issue consensuelle. Rien de tout cela n’a été fait, l’opposition, voire les oppositions, ont choisi la confrontation et l’interventionnisme étranger. Kaïs Saïed a décidé d’ignorer tout le monde et de poursuivre son processus vaille que vaille. Le résultat est une opinion publique désappointée, leurrée, déterminée à tourner la page du régime du 24 juillet, quitte à ouvrir la voie à un nouveau régime autoritaire. « Après avoir chassé Ben Ali et Ghannouchi, on ne craint plus aucun autre président, on en chassera d’autres à chaque fois que cela sera nécessaire, si l’on constate un quelconque dérapage vers une dictature », entend-on dire des vieux et des plus jeunes rencontrés dans la rue. Morale de l’histoire, quand on ne fait rien pour les autres, il ne faut pas se plaindre des résultats de leurs choix.
Le projet de Constitution de Kaïs Saïed devrait passer ce lundi 25 juillet alors que des craintes taraudent tout de même les esprits. Kaïs Saïed n’a que très peu parlé pour expliquer son projet de Constitution. A l’occasion des vœux de l’Aïd Al Adha pour annoncer les corrections et rectifs sur la copie initiale. Il apportera quelque 46 amendements. Il faut reconnaître que ce n’est pas peu – mais pas suffisant non plus – personne n’y croyait, Kaïs Saïed faisant partie des personnes entêtées qui ne font pas marche arrière. Par ce geste, Saïed a voulu démontrer qu’il n’est pas si « autiste » que cela. Il écoute et parfois, il rétropédale. Ainsi, il rectifiera le tir au niveau de plusieurs articles en ajoutant le scrutin direct et secret aux élections législatives, l’égalité entre l’homme et la femme, la gestion des affaires religieuses par l’Etat comme avant 2011. Mais il maintiendra le flou pour d’autres dispositions importantes, comme c’est le cas pour l’instauration d’un régime présidentialiste sans que le président ait de comptes à rendre à personne avant la fin de son mandat, la scission en deux du pouvoir législatif et la place du Conseil national des régions et des districts, l’impact du remplacement de la notion d’autorité par celle de la fonction exécutive, législative et judiciaire. Une chose est sûre : ce projet de Kaïs Saïed est une constitution anti-consensus contre-nature du type 2014, anti-islam politique du genre cheval de Troie nahdhaoui et anti-hégémonie des partis politiques sous influence idéologique ou de lobbys.
La constitution de Kaïs Saïed ne plaît pas à tout le monde. Elle reste le projet d’une seule personne, celle dont il a toujours rêvé et qu’il a pu mettre à exécution. Plus encore, elle divise plus qu’elle ne rassemble. Elle fera encore des vagues si elle passe lundi prochain et ouvrira la voie à une période d’incertitude et de flou. On sera devant le fait accompli et tout aura été mis en œuvre pour un seul objectif : plébisciter une nouvelle fois Kaïs Saïed et lui offrir une constitution qui lui garantit tous les pouvoirs et fait de lui l’unique maître à bord. Il n’en demeure pas moins que certains pensent que cette constitution peut être la Loi fondamentale qui permettrait de traverser cette étape périlleuse qui voit notamment l’examen par la justice des dossiers les plus dangereux liés au terrorisme et à des complots fomentés contre l’Etat tunisien à partir de l’étranger, à l’instar de l’affaire Instalingo en cours d’examen, celle de l’Association « Namaa » et celle des assassinats des deux leaders politiques Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.
Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, a été pour la première fois entendu mardi dernier en tant qu’accusé. D’autres dirigeants nahdhaouis, dont Hammadi Jebali, également. Affaires à suivre.