J’ai attendu longtemps avant d’écrire ces mots avec l’espoir que quelqu’un réagirait avant moi pour rendre à César ce qui lui revient de droit. Je dois préciser que je ne fais pas partie des étudiants qui ont eu la chance de s’abreuver de son savoir, ni de ceux qui l’ont accompagné durant son riche parcours scientifique et professionnel. Par contre, j’ai eu la chance de le voir à l’ouvrage pour accomplir un rêve qui n’aurait jamais existé sans lui. Lui c’est feu Pr Tahar Gallali, le grand homme de sciences et brillant professeur de l’enseignement supérieur, celui qui a introduit les enseignements en sciences du sol au département de géologie de la faculté des sciences de Tunis et le bâtisseur de la Cité des sciences à Tunis.
J’ai eu la chance de le voir organiser des manifestations au nom de cette Cité – les tentes des mathématiques, par exemple – alors qu’elle (la Cité) n’était encore qu’au stade de l’idée. Il se contentait d’une table et d’une chaise chez son ami Ali El Hili, alors président de l’Association des amis des oiseaux, paix à son âme, pour travailler sur ce qui lui tenait à cœur.
Des années durant, il a parcouru le monde pour voir, comprendre, apprendre et s’inspirer des cités des sciences existantes, particulièrement en France et en Espagne, pour bâtir en Tunisie ce projet exceptionnel et l’un des grands acquis de la Tunisie, à l’instar de la Cité des Sciences de La Villette en France.
Tahar Gallali a veillé à la pose de chaque pierre de cet édifice, pour que tout soit parfait. Pour faire honneur à la Tunisie. Il a réussi son challenge. Il en sera le premier président directeur général pendant 10 ans, depuis la création de la Cité en 1992.
Bâtisseur dans l’âme, visionnaire et avant-gardiste, c’est lui aussi qui introduisit en Tunisie le concept de l’Environnement dans l’université tunisienne, au milieu des années 80. Il créa à la faculté des sciences un DEA (3e cycle) sur un thème d’actualité brûlante aujourd’hui intitulé « Eau et Environnement ». Les enseignements traitaient essentiellement des problématiques liées à l’eau, à la protection de l’environnement et des ressources naturelles et aux changements climatiques (déjà !). Il ne se contentait pas d’enseigner dans des amphithéâtres, il faisait parcourir à ses étudiants des kilomètres et des kilomètres du Nord au Sud et d’Est en Ouest du pays pour leur prodiguer le savoir et l’expérience du terrain.
Tahar Gallali était aussi un fervent adepte de la vulgarisation scientifique et un acteur engagé dans la diffusion du savoir scientifique. Il est l’auteur de trois ouvrages scientifiques grand public : « L’Homme et la Terre, une liaison dangereuse » (2011, Editions Sahar et Centre de Publication Universitaire) traite des problématiques du changement climatique, « La seule révolution qui vaille » (2017, Editions Nirvana) s’intéresse aux relations Nord-Sud et « El Mektoub, ou penser le risque ? » (2020, Editions Nirvana) alerte sur les risques environnementaux.
Tahar Gallali s’est éteint le 25 août dernier. En retour de tout ce qu’il a accompli pour son pays et en reconnaissance à sa singularité, qu’a-t-on fait pour perpétuer sa mémoire et son œuvre ? Rien. Dommage !
Il semble que nous sommes condamnés à banaliser nos compétences, à les inscrire dans l’oubli une fois enterrées. C’est à croire que leur souvenir, et surtout le souvenir de ce qu’ils ont réalisé, fait peur à ceux qui ont pris leur place, incapables de faire de même ou pire encore, de préserver ce qu’ils avaient bâti.
Tahar Gallali mérite que son nom soit attribué à l’un des espaces de la Cité des sciences à Tunis et/ou à la faculté des sciences de Tunis, légitimement et de droit. Que l’une des salles de conférence de la Cité des sciences porte son nom serait une reconnaissance à l’un des enfants de la Tunisie qui ont contribué à son rayonnement et une reconnaissance également à la Tunisie pour avoir enfanté des hommes et des femmes d’exception. Les enfants, les jeunes et même les adultes qui visitent la Cité, ont le droit de savoir qui a été à l’origine de cette exceptionnelle réalisation (la Cité des Sciences à Tunis) et son bâtisseur. Ils ont le droit aussi de savoir quel militant Tahar Gallali était pour les grandes causes et pour la défense des Droits de l’Homme.
La Tunisie lui doit cet hommage posthume, comme à tant d’autres étoiles qui ont brillé de leur vivant et se sont éteintes à jamais, pour être reconnaissante envers les hommes et les femmes qui se sont dévoués pour porter haut son étendard.
Ceci est un appel aux autorités de tutelle et ce ne sera que justice pour rendre à Tahar Gallali ce qui lui revient de droit.
F.B