Par Hatem Ben Salem
Ancien ministre de l’Education
La volonté de fonder institutionnellement l’usage commun de la langue française, trouve son origine dans la première réunion (1960) des ministres de l’Education de quinze pays convaincus que l’instrument de communication linguistique pouvait constituer un levier capable de fédérer des Etats ayant vécu la douloureuse expérience coloniale.
Les pères fondateurs, Bourguiba, Senghor et Sihanouk ont eu l’ingénieuse idée de créer un immense espoir à partir des « décombres de la colonisation ».
Tous, donc, étaient conscients de l’immensité du défi à relever : tracer un destin commun pour un ensemble de peuples hétérogènes, éparpillés sur différents continents et appartenant à des cultures différentes. Le seul constat que ce rêve perdure encore est en soi une gageure.
Plus de soixante ans plus tard, quel bilan tirer et quel avenir envisager ?
Nul ne peut douter, aujourd’hui, du rôle de représentation, de coordination et d’impulsion que joue l’OIF. Toutefois et en toute objectivité, le bilan global reste assez mitigé, voire décevant compte tenu de l’immense espoir suscité par la dynamique francophone. D’abord dédiée à la promotion de la langue française, à l’Education et à la Culture, la francophonie a voulu dès les années 1990, s’imposer en tant qu’acteur politique. Les objectifs de promouvoir la démocratie et les Droits de l’Homme ainsi que d’encourager l’émergence d’un partenariat économique, étaient dans leur essence légitimes.
Pourtant, aussi bien sur le plan politique qu’économique, cette approche a réveillé les démons du néocolonialisme et a créé une ambiance de suspicion sans précédent dans les relations inter-francophones.
Les malentendus persistent encore et restent un vrai handicap à toute démarche de reconstruction de la confiance. De surcroît, aucune évaluation n’a été faite et aucune initiative n’a été lancée pour tourner définitivement cette page peu reluisante de la francophonie.
Autre échec à ajouter au passif, l’absence totale d’une stratégie d’affirmation internationale. En effet, l’OIF s’est empêtrée dans une approche bureaucratique de son déploiement diplomatique, pensant que l’ouverture de représentation, ici ou là pourrait porter efficacement le projet francophone. Ce fut une grave erreur de positionnement et le plus mauvais service qu’on pouvait rendre à l’idéal francophone. Tout au long de ces trente dernières années, les investissements consacrés à l’ingérence politique ainsi qu’au fonctionnement des institutions ne peuvent tenir aucune comparaison avec les maigres ressources dédiées aux piliers de la francophonie, à savoir l’enseignement du français, l’Education et la Culture.
Malgré les multiples mises en garde à propos de la disparition « programmée » de la langue française des pays les plus symboliques à l’instar de la Tunisie, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, aucune initiative sérieuse n’a été envisagée.
Plus inquiétant encore, la dégradation de l’image de la France dans certains pays d’Afrique s’accompagne systématiquement d’un rejet de la francophonie.
La France et le Canada ont intérêt à suivre avec la plus haute attention l’évolution de la perception populaire du fait francophone.
Ces deux Etats clés ont une responsabilité historique pour mener une refondation de la francophonie. Des états généraux seraient à même de dresser un bilan honnête de l’histoire francophone commune. Une nouvelle vision, plus en phase avec le 21e siècle et les vraies attentes et aspirations des peuples francophones, est à la portée de l’OIF. Nous avons le droit d’y croire et d’en rêver et, ils ont le devoir d’en assumer l’initiative et le succès.