«Certains crimes, notait Georges Bernanos, ne sont dans la vie des nations rien de plus qu’une simple conjoncture tragique dont le caractère irréparable masque à peine l’insignifiance». Nous y sommes. On a tort de croire que les catastrophes économiques et sociales, les haines et les ressentiments de la pire espèce, les dérives éhontées, l’intransigeance et le lyrisme insurrectionnel de nos politicards sont de simples coups de semonce qui auraient dû sonner l’alarme. Non. Ce sont les formes tragiques de l’infélicité dans laquelle ces (ir) responsables ont plongé le pays. Cela a pour nom» la tyrannie de l’insignifiance». Un constat impitoyable : cette caste dangereusement installée depuis 2011 est en passe de détruire l’État. L’Histoire nous a avertis que les acteurs de la terreur furent toujours experts dans la manière de manipuler les évènements et d’inventer des mensonges pour exercer leur pouvoir tyrannique surtout qu’un mensonge, ces jours-ci, a le temps de parcourir le monde avant que la vérité n’ait pu enfiler son pantalon ! Bien des ombres flottent sur le pays. On a donc beaucoup de mal à démêler le vrai du faux. Rien n’est pire que le flou qui se poursuit. C’est le spectacle le plus déprimant qui soit.
Par un enchaînement de causalités, le pays a pris une dimension emblématique. Au nom d’une fameuse «légitimité», il s’est trouvé projeté au cœur d’un débat superfétatoire sur la nature du régime, ce qui constitue le nœud même par lequel le peuple tunisien est ligoté. Séisme pour toute la classe politique, la dernière débâcle des Législatives a évidemment constitué une rude épreuve pour le pouvoir ainsi que pour l’opposition. S’ils avaient un brin d’honneur et de dignité, tous les responsables de cette situation désastreuse devraient demander pardon. Malheureusement, il n’y a pas de pardon s’il n’y a pas l’homme politique honnête pour reconnaître ses fautes. Une porte s’est refermée sur toute la classe politique, mais à travers le «trou de la serrure», on veut constater le désastre. Comme si ce qu’on a brisé, criminellement brisé, n’était que le pic de l’insignifiance : l’apogée au-delà duquel commence le réveil. À cause de la consolation introuvable et de la mélancolie qui baigne leur quotidien, il va falloir aux Tunisiens, qui méritent mieux que les manœuvres périlleuses des islamistes et l’aventurisme mortifère des populistes, une sacrée dose de sang-froid et de sagesse pour éviter une énième déception. Ils doivent résister deux fois : d’abord à l’illusion d’un nouvel espoir délivré de ses conditions, ensuite à une profonde lassitude. Car la vérité est que la suspicion régnante entre la classe politique et le peuple est si forte que ce dernier préfère laisser le temps faire le boulot tout seul. Mais attention. Si les décideurs au pouvoir demeurent les bras ballants, le pays sera bientôt englouti par un soulèvement incontrôlable. Que l’on sache, en effet, et quels que soient les arguments officiels et officieux, spéciaux et spécieux qui voudraient justifier le contraire, que le mécontentement du peuple ne peut être désarmé par la seule logique de la « légitimité » ; il ne sera épongé que par une volonté politique plus puissante et plus élevée : la transparence. Tout cela, on le sait depuis longtemps. On le répète à l’infini. Certains observateurs s’en occupent, d’une façon encore trop marginale. C’est peut-être une occasion de le crier très fort.
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