L'insurrection du 14 janvier 2011. On y pense, puis on l’oublie. Bien sûr, chacun sait qu’elle a existé et fut immensément célébrée. On admet volontiers qu’elle fut décisive dans la rupture avec les «légitimités traditionnelles» en obtenant par l’émeute ce que les manœuvres de l’opposition étaient impuissantes à conquérir. Elle a marqué le début d’une mêlée d’autant plus féroce qu’elle a ruiné les certitudes des «théoriciens de l’insurrection», militants «démocrates» comme brailleurs des droits-de-l’hommisme. Les coups de pioche avaient commencé bien avant : les émeutes du 18 janvier 1978, le soulèvement du 4 janvier 1984 et les empoignades autour du bassin minier en 1999. Un apprentissage dans les tranchées de l’insurrection qui aurait fait de cet événement brutal la matrice de toutes les dérives ! Quand on ouvre maladroitement la boîte de Pandore, il arrive qu’elle vous explose à la figure. C’est qu’on assiste, depuis douze ans, à un déferlement de prédateurs haut en couleur, qui font semblant d’instaurer la «démocratie». Quand tout le monde est «homme providentiel» ou «sauveur ultime», il n’y a ni l’un ni l’autre. Il n’y a que dans le carnaval que tout le monde peut détenir les clés de la solution magique ! Pourtant les peuples, lorsqu’ils sont ébranlés, peuvent être attirés par la solution du pire qui leur est vendue comme la plus efficace. Partout où s’est développée la rage contre l’accaparement du pouvoir et des richesses par une classe, une caste ou une mafia, «le mécontentement s’est trouvé capté par les arrivistes et les prédateurs», observait le sociologue américain Murray Bookchin. Nous y sommes. L’insurrection du 14 janvier 2011 a laissé place à une caste sans foi ni loi où des politicards corrompus accumulent les richesses et se détournent de l’intérêt général en pervertissant l’atmosphère générale pour bloquer les réformes susceptibles de leur nuire, ce doit être par «plaisir» de martyriser le peuple. Et cette jouissance est certainement très intense, puisqu’ils sont prêts, pour l’assouvir, à affronter impopularité, grèves et manifestations. «Le pouvoir qui affame le peuple est criminel», scandait Ali Ben Ghedhahem en 1864. Pourquoi ne pas le croire ? Quelle révolution, quelle liberté, quelle idée de la démocratie peuvent conduire à une infamie de cette ampleur ?
Cette mise à nu érigée en spectacle médiatique reste cependant en arrière-plan du vrai problème. Ce qui m’intéresse ici est de comprendre pourquoi les leviers de la Tunisie étaient, pendant une décennie de braise, entre les mains de ganaches islamistes et populistes machiavéliques, qui n’ont aucun sens de l’État et de l’intérêt général.
Il est des sursauts populaires qui ne parviennent pas à dissiper le profond de la nuit. Et qui laissent le jour douteux où les haines et les ressentiments l’emportent grandement sur l’espoir.
Pour comprendre ce qui se passe dans le pays, il faudrait relire les discours des islamistes qui ont régné en maîtres pendant plus d’une décennie. Au nom d’une fausse «démocratie», ils ont ramené le citoyen à un élément d’un grand tout idéologique, en rupture avec l’idée d’une dignité première de l’être humain comme citoyen d’interrogation et de liberté, doté de raison. Plutôt que d’arracher aux citoyens leur dignité, comme le font les tyrannies, ils les amènent à y renoncer. Il faut évoquer ces tendances néofascistes qui salissent le rêve de vivre l’accouchement d’une ère nouvelle, délivrée de l’exploitation des oppresseurs. C’est là que le bât blesse, car presque rien dans l’état actuel ne va dans le sens voulu par une population profondément engagée dans la lutte pour la dignité et l’égalité
«Toutes les révolutions sont des échecs, mais elles ne sont pas toutes le m
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