La fin d’année s’annonce houleuse pour les internes et les résidents en médecine. Dans les quatre facultés de médecine tunisiennes, Tunis, Sfax, Sousse et Monastir, ils viennent de se prononcer pour une grève ouverte qui inclurait les services d’urgence. Ils sont actuellement en train de coordonner une action commune à l’échelle nationale. Le motif de discorde est la nouvelle loi qui les obligerait à travailler 3 ans dans les régions défavorisées du pays sous peine de se voir refuser l’autorisation de s’installer en cabinet privé.
D’autres raisons de faire grève sont également évoquées par le syndicat des internes et résidents tunisiens : «le ministère de la Santé publique refuse d’entendre nos revendications légitimes et nous sommes ainsi dans l’impossibilité de discuter sérieusement d’une amélioration de nos conditions de travail, notamment pour obtenir un repos hebdomadaire, un repos de sécurité obligatoire après toute garde de nuit». Ils évoquent également les conditions d’insécurité sur leurs lieux de travail où ils sont, perpétuellement, la cible de violence de la part des citoyens.
Pour ce qui est du repos hebdomadaire, les internes et les résidents n’en bénéficient pas puisque leur rythme de travail est fixé par le nombre de gardes qu’ils doivent accomplir par semaine. Ce droit à ce repos a été accordé suite à une circulaire du ministère de la Santé publique datant de 2008, mais il n’a jamais été appliqué. Dans la majorité des pays, après chaque garde de nuit, chaque médecin est obligé d’observer un repos pour éviter les erreurs médicales liées à la fatigue et au manque de sommeil. Ce n’est pas encore le cas en Tunisie. Les lendemains de garde sont des journées de travail normales au sein des services.
La “loi de la discorde”
La vraie raison de la grève annoncée pour les jours à venir est cette loi qui va passer en séance plénière à l’ANC et qui risque d’être votée. Le projet de loi stipule «Avant de s’installer dans le secteur privé, les médecins spécialistes seront dans l’obligation de travailler trois années en alternance dans des services hospitalo-sanitaires ou hospitalo-universitaires dépendant des structures de la santé publique. Ces affectations seront déterminées par le ministère de la Santé selon ses besoins. […] Cette obligation intéresse aussi les assistants hospitalo-universitaires en médecine dont l’ancienneté est inférieure à quatre années. […] Le ministère de la Santé délivrera aux médecins concernés qui auront achevé la durée obligatoire de travail dans le secteur public, un certificat à cet effet qui sera une condition nécessaire pour s’installer dans le secteur libéral en tant que médecin spécialiste.»
Le bras de fer
Les raisons du ministère sont très simples : c’est la seule façon de lutter contre les «déserts médicaux», puisque toutes les tentatives pour recruter des spécialistes dans les régions reculées du pays n’ont pas abouti.
Pour les médecins, la réponse est plus compliquée : «on ne cèdera pas au chantage et au travail forcé», mais en même temps ils vous expliquent tout ce qu’ils jugent comme absurde dans cette loi. Un spécialiste ne peut travailler sans un plateau technique : qu’irait-il faire de plus qu’un généraliste, un cardiologue sans échographe ? Qu’irait faire un gynécologue sans anesthésiste-réanimateur ? Et ainsi de suite. Selon une résidente qui aurait posé la question au ministre de la Santé, il lui aurait répondu : «vous irez faire de la médecine de guerre», autrement dit, vous allez travailler avec les moyens de bord. Mais dans ce cas que ferait le résident en «anapath» ou celui de télémédecine à part perdre son temps et ses si fragiles et récentes connaissances médicales ? Ou bien alors, on assistera encore une fois à la naissance d’une médecine spécialisée à deux vitesses : celle des grandes villes et celles des déserts médicaux.
La loi ne concerne que les spécialistes. Elle n’oblige pas les médecins généralistes qui optent pour le privé à travailler 3 années à l’intérieur du pays. C’est une injustice qui révolte les futurs spécialistes. C’est également du travail forcé et c’est illégal, précisent-ils dans toutes les assemblées tenues par le syndicat des internes et des résidents.
Des alternatives pour surmonter la crise
Une réunion a eu lieu samedi 2 novembre 2013 entre la commission législative de l’ANC, le Syndicat des internes et des résidents en médecine de Tunis et un porte-parole du Conseil national de l’Ordre des Médecins de Tunisie. Le syndicat a proposé une alternative dont les grandes lignes sont la création de pôles de santé dans les régions, où les recrutements se feront par équipe multidisciplinaire. Le gouvernement n’a pas les moyens d’améliorer l’état des lieux de la santé publique. Les médecins spécialistes réclament des conditions de travail adéquates. Et si l’on ouvrait le public au privé ? Et si l’on trouvait un arrangement pour que le médecin du privé, bien installé et bien équipé, vole au secours du malade de l’hôpital ? Les solutions existent et elles sont nombreuses. Il ne faut simplement pas choisir celle de la facilité.
Samira Rekik