La globalisation est entrée dans une profonde crise dans tous les domaines et n’est plus capable de garantir la sécurité, la prospérité et la stabilité qu’elle a contribué à protéger depuis le début des années 80. Cette crise a été le point de départ de la réflexion stratégique sur le monde à venir ou le monde post-globalisation, et les principaux think tanks du monde se sont engagés dans l’exploration des contours du nouveau monde. De nombreux scénarios sur l’avenir de la globalisation et les perspectives de son évolution ont émergé dans le débat mondial au cours des dernières années. Le scénario qui suscite beaucoup de craintes et d’inquiétudes dans le débat mondial ces derniers mois, est ce que nous pourrions appeler le scénario de « la fragmentation de la globalisation », un débat plus connu dans le monde anglo-saxon sous l’appellation «Fragmented Globalization». Le débat et la controverse autour de ce scénario ont commencé il y a des mois et ont été l’une des conséquences de la guerre russe en Ukraine.
Ce scénario a été présenté dans une étude importante sur l’avenir de la globalisation par la Fondation Davos en mai 2022, intitulée «Quel est l’avenir de la globalisation ?» ou «What next for economic globalization ?». Ce scénario implique une forte régression de la globalisation et de l’intégration via les réseaux sociaux. C’est la peur de l’autre qui va prévaloir et l’isolement qui va l’empoter, ce qui va renforcer les amitiés idéologiques et politiques dans le mouvement de la globalisation.
Cette hypothèse sur l’avenir de la globalisation a suscité beaucoup de débats et de discussions, et de nombreuses études indiquent que l’émergence de ce scénario de fragmentation de la globalisation selon des critères géopolitiques plutôt qu’économiques, a commencé à se manifester ces dernières années, en particulier à la suite de la guerre et de l’invasion russe en Ukraine.
L’intérêt pour ce scénario ne se limite pas aux penseurs et aux grands think tanks, mais a également attiré l’attention des responsables économiques des grandes puissances. Ainsi, Janet Yelen, Secrétaire américaine au Trésor, a souligné lors d’un de ses discours récents que la globalisation avait connu une transformation majeure, où «nous verrons dans l’avenir une globalisation entre amis partageant les mêmes principes et idées».
Ce scénario a commencé à émerger et à se développer au cours des derniers mois à la suite de l’invasion russe en Ukraine, où les prévisions indiquaient qu’une grande crise économique en Russie la conduirait à renoncer à ses objectifs militaires et à se tourner vers la table des négociations. Cependant, malgré les difficultés rencontrées par la Russie à la suite de la guerre, l’effondrement économique prévu par la plupart des centres de recherche et de prévision économiques ne s’est pas produit. La contraction de l’activité économique en Russie n’a pas dépassé – 2% en 2022.
La Russie a réussi à restructurer ses relations commerciales et financières internationales pour échapper aux sanctions économiques américaines et européennes. La Russie a trouvé des marchés alternatifs en Inde, en Chine et dans de nombreux autres pays, y compris en Afrique du Nord, pour ses exportations de pétrole et de gaz. Pour faciliter ce nouveau système commercial alternatif, la Russie et certains de ses alliés ont mis en place un système de paiement pour faciliter les opérations d’achat et de vente.
Ces analyses confirment que les conflits politiques et les choix idéologiques conduiront à l’avenir à un nouvel ordre des relations commerciales et financières internationales, en particulier des chaînes de production qui s’éloigneront progressivement du principe de «juste-à-temps» (Just in time) pour les composants de production et s’appuieront sur un nouveau principe, évitant les conflits qui affectent le commerce international, appelé «juste-à-côté» (Just in case) selon l’économiste Mohamed A. El-Arian dans une tribune publiée récemment et intitulée « Fragmented globalisation ».
Les dangers de la fragmentation de la globalisation résident dans le recul de l’efficacité économique, ce qui se traduira par une baisse de la croissance économique et l’augmentation de l’inflation qui contribueront à augmenter la pauvreté et à entraîner l’exclusion sociale, particulièrement dans les pays en développement. La Directrice générale du Fonds monétaire international, Kristalina Georgieva, a indiqué dans un article intitulé « Pourquoi devons-nous empêcher la fragmentation géo-économique et comment y parvenir ? » que la fragmentation coûterait à l’économie mondiale une perte de 5% du PIB global.
Elle a appelé à la nécessité de sortir de cette fragmentation pour revenir à la voie traditionnelle que la dynamique de la globalisation a connue depuis les années 80. Cet appel a été largement soutenu par les institutions internationales et les grands think tanks dans le monde.
Cependant, la sortie des crises actuelles que traverse le monde et la reconstruction d’une globalisation ouverte et inclusive nécessitent l’élaboration de réponses sur les fragilités apparues qui se sont renforcées au cours des dernières années et l’impératif de trouver des solutions, en particulier pour les crises climatiques, sociales, les inégalités croissantes et les crises de la dette qui touchent la plupart des pays en développement.
Le monde connaît aujourd’hui, en plus des conflits politiques et des guerres, des crises économiques importantes, aggravées par la nouvelle crise financière qui a débuté dans la Silicon Valley aux États-Unis. Ces crises ont participé à la fragilisation de notre monde et à l’accroissement de l’incertitude qui obscurcit l’avenir et accentue les craintes quant à l’ampleur des risques. Ces crises exigent que le système international, les États et les institutions internationales apportent des réponses à ces inquiétudes et à ces incertitudes, notamment à travers la formulation d’un nouveau contrat social, international capable de garantir la sécurité, la stabilité et la croissance pour toutes ses composantes, en particulier les plus faibles.
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