« Ma vie est complètement gâchée à cause de mes parents ! » Ce cri du cœur est poussé par l’un de nos interlocuteurs, un adolescent de seize ans qui souffre de plusieurs problèmes psychologiques. Il a des difficultés à s’épanouir et à s’ouvrir sur le monde extérieur car il a été surprotégé, comme la plupart des enfants uniques. Ses parents, il les aime pourtant, mais il les accuse de l’avoir privé d’un petit frère ou d’une petite sœur, « nécessaires à son épanouissement », selon ses dires.
Rencontre avec des rois qui étouffent dans leurs royaumes et qui doivent apprendre à vivre sans alter ego…
Dans une famille classique, le frère ou la sœur est une sorte de miroir dans lequel on découvre sa propre image. Notre adolescent de seize ans le confirme : « depuis ma naissance, je suis au centre de toutes les attentions, ce qui peut être amusant au début, mais qui devient étouffant quand on grandit. Je n’avais que l’image des adultes pour m’identifier, surtout que mes parents ne voulaient pas m’envoyer dans un jardin d’enfants, car ils ne leur font pas confiance. »
Le premier pas
Hier, héros du cercle familial, il hésite aujourd’hui à s’aventurer à l’extérieur, à aller vers les autres, car il ne sait pas faire le premier pas ni quoi dire pour entamer une discussion, une relation durable. Une timidité qui constitue un véritable handicap, tant sur le plan social que sur le plan sentimental, au point de l’envoyer régulièrement chez un psychologue. Mais ce cas reste extrême et d’autres enfants réussissent à résoudre leurs problèmes tous seuls.
C’est le cas de Inès, vingt sept ans, aujourd’hui maman d’un petit enfant unique et qui semble avoir trouvé la solution : « moi j’ai profité de ma situation de fille unique en tissant des relations avec mes nombreuses voisines, amies et cousines. Quand je voulais de la compagnie, j’allais avec elles et en rentrant chez moi, j’avais mes jouets à ma disposition, sans concurrence ni rivalité. En plus j’ai eu la chance d’être entourée par mes parents qui m’accompagnaient dans mes activités quotidiennes, entre jeux, devoirs scolaires et sorties… »
Entre ces deux situations extrêmes, un psychologue fait l’analyse suivante : « avoir des frères et sœurs est déterminant pour l’épanouissement de l’enfant. Cela lui donne le sens global des relations sociales, lui apprend à jouer et à interpréter divers rôles, l’aidant à développer sa créativité et sa spontanéité. Il apprend surtout à exprimer son agressivité de façon mesurée et à la canaliser… »
Un enfant unique vivant sans contact permanent avec d’autres enfants sera méfiant et aura souvent peu confiance en lui. Mehdi vit avec ce sentiment depuis toujours : « j’ai toujours l’impression que les autres enfants sont meilleurs que moi, qu’ils ont plus de connaissances, d’intelligence, de force… Au fil des années, cela a créé une absence d’estime de moi-même et un manque de confiance crucial. Si j’avais des frères et sœurs, je serais moins susceptible, moins renfermé. »
Même situation pour Héla, vingt ans, fille unique élevée sans aucun contact avec d’autres enfants, qui confirme : « être enfant unique c’est apprendre la solitude, l’ennui et la tristesse. J’étais angoissée quand mes parents se disputaient, au point de croire que c’était la fin du monde et que j’en étais responsable. Je regrettais de ne pas avoir des frères ou des sœurs pour partager ce fardeau. C’est surtout l’avenir qui me fait peur car je vois mes parents vieillir et je me demande comment je vais pouvoir faire face à la vie sans eux. »
Apprendre à partager
Le rôle des frères et sœurs est en effet important pour comprendre dès la petite enfance que la méchanceté des autres n’est pas forcément intentionnelle, que c’est juste un réflexe de défense. Il y a aussi le sens du partage, de l’échange, de la vie en commun qui se développe au fil du temps et qui seront essentiels à l’âge adulte. Pour notre psychologue, « l’enfant unique supporte seul le poids de l’investissement parental car il incarne leurs rêves d’avenir et leurs ambitions. Il aura souvent du mal à se sentir à la hauteur et vivra avec la crainte de les décevoir. »
Parfois, l’enfant unique tente de convaincre ses parents de lui donner un petit frère ou une petite sœur, comme cet adolescent de quinze ans qui nous confie : « depuis que j’ai ouvert les yeux, mes parents parlent de leurs soucis financiers… Plus jeune, j’ai souvent évoqué mon désir d’avoir un frère ou une sœur, mais mes parents esquivaient la question à chaque fois. Alors j’avais tendance à considérer tous les enfants comme mes petits frères, mais sans trop de conviction car je savais qu’ils partiraient et que je me retrouverais seul… »
L’enfant unique éprouve parfois des difficultés à s’intégrer dans une équipe de travail, dans des groupes d’action. Un étudiant en histoire nous a affirmé : « mes tentatives d’intégration de clubs de sport, d’ateliers artistiques et d’associations diverses se sont soldées par une série d’échecs. En fait, je demande trop aux autres et je deviens envahissant et au bout d’un certain temps, ils me rejetaient ! Alors je rentrais chez moi et je regardais la télé ou bien je jouais sur ma console sans trop d’enthousiasme… »
L’enfant unique aimerait bien interagir avec les autres, mais soit il est trop timide, soit il est envahissant. Parfois il ne trouve rien à dire et se contente d’écouter les conversations sans y participer et cela crée beaucoup de frustrations. Pourtant il a tout pour réussir : « j’ai l’impression que l’on m’a privé d’une certaine joie de vivre, de moments privilégiés », nous assure cet étudiant.
Selon des sondages effectués dans diverses parties du monde, près de 80% des enfants uniques disent qu’ils souhaitent concevoir plusieurs enfants. Et en Chine, on commence à revoir la politique de l’enfant unique, parce que la pression sociale sur ses frêles épaules est de plus en plus lourde. On estime qu’à l’âge adulte, il devra s’occuper seul de douze proches : ses parents, ses grands parents, son conjoint et la famille de ce conjoint.
La maman d’un petit garçon de six ans a tenu à apporter son témoignage sur la question : « à l’époque, j’étais plutôt préoccupée par ma carrière et un deuxième enfant aurait été difficile à gérer. Aujourd’hui, je regrette un peu de n’avoir pas donné un petit frère à mon fils et je souffre d’un sentiment de culpabilité lorsque je le vois isolé, renfermé ou triste. Mais d’un autre côté, je pense que l’enfant unique idéalise la vie des fratries, car moi j’ai deux frères avec lesquels je ne me suis jamais entendue et j’ai réussi ma vie sans eux… »
Le plus grand problème de l’enfant unique c’est qu’il doit combler les désirs de ses parents afin qu’ils soient fiers de lui. Pire, il n’a pas de droit à l’échec ! L’enfant unique devient plus fragile, plus hypersensible que la moyenne des gens. Pas de jeux, pas de disputes avec un frère ou une sœur, juste le silence quand on rentre de l’école. Les larmes le soir dans le lit quand on pense que ses parents vont peut être mourir et qu’on restera seul, vraiment tout seul. Plus tard, devenu adulte, l’éventualité de la mort des parents va l’obséder car il se sent responsable d’eux et hésite à s’en éloigner.
Un sociologue estime que « face à l’inévitable concurrence que nous impose le monde moderne, l’enfant unique est peu entraîné à la compétition. Adulte, il manquera d’agressivité, puisqu’il n’a pas eu l’occasion de se mesurer à autrui. Il sera parfois victime d’un sentiment d’infériorité. » L’un des rares points positifs, c’est que les enfants uniques ont souvent une maturité intellectuelle et un niveau de langage plus développés que les autres enfants du même âge. A la puberté, il mûrit plus vite que les autres
Mais l’absence de compétition avec un frère ou une sœur en fait parfois un enfant perturbé, gâté, avec des difficultés à faire des choix. A l’école, il se sent anormal parce que presque tous les élèves semblent avoir leur place, alors que lui est incapable de se socialiser. Et quand ses parents déménagent, cela devient un drame !
Face à toute cette souffrance, à tous ces problèmes, il serait à notre avis souhaitable de créer une association d’enfants uniques ou même une page Facebook qui permettrait à tout ce beau monde de discuter de leurs problèmes et de partager leurs expériences…
Yasser Maârouf