Tout en faisant ses premiers pas sur le chemin de la démocratie et des libertés institutionnelles et gouvernementales en Tunisie, le peuple tunisien a dévoilé en lui le penchant pour la tyrannie, peut-être bien un résidu de l’ère de la dictature et du modèle unique. Religieuse, intellectuelle, identitaire et sentimentale… l’envie de ramener « toute brebis égarée » semble irrésistible chez beaucoup de Tunisiens. Retour sur les expressions les plus dictatoriales en vogue en Tunisie post-révolutionnaire ou encore sur les stigmatisations qui reviennent le plus.
« Nous peuple tunisien, appartenons à l’Islam sunnite Maliki modéré » est l’une des expressions souvent utilisées de la part des défenseurs de la tolérance en Tunisie et de ceux qui veulent véhiculer le message d’une Tunisie rejetant le fanatisme. Or, l’école Maliki est l’une des plus dures écoles religieuses, elle va jusqu’à stipuler la peine de mort pour ceux qui délaissent la prière. Mais encore, vouloir rassembler tous les Tunisiens dans des mêmes référents religieux ne peut refléter qu’une perpétuité du « modèle sociétal unique ».
Dans ce sens et en termes de respect des libertés, ceux qui caressent le rêve d’instaurer un modèle conservateur ne sont pas différents de ceux qui prêchent un modèle modéré, car la liberté est justement de laisser aux individus le choix de l’école, de la pensée religieuse ou irréligieuse, de la communauté qu’ils veulent adopter ou suivre. Sinon, il s’agirait là d’une dictature sociétale religieuse.
« Je veux te convaincre de… » La démocratie naissante en Tunisie a donné lieu à la multiplication des débats et cela ne peut être qu’un indicatif positif. Seulement, souvent dans les débats en Tunisie, l’on croit muni d’une mission, convaincre l’autre. Néanmoins, le principe même de la liberté et de la démocratie n’est pas de convaincre, non plus justement en communication d’une façon générale. En effet, la communication veut dire « troc », échange.
Bien communiquer est de ce fait, réussir à échanger et non à convaincre. Le dialogue et les débats en Tunisie sont encore dans la phase où on essaye, même d’une façon argumentative plutôt que despote, d’imposer son avis et non dans celle où chacun exprime son idée et libre à chacun d’accepter ou pas celle des autres. Il est aussi dans les manies des Tunisiens de bannir des personnes qui pensent différemment, qui ont une perception différente des choses ou qui s’expriment autrement. Dans certains cas, cela va jusqu’à l’agression verbale et les insultes ou l’accusation de traîtrise envers la patrie ou envers les causes « communes ». Autrement dit, nous sommes encore dans la dictature intellectuelle.
« Le voile ne fait pas partie de nos traditions, non plus les femmes qui boivent, on est une société modérée ». Encore une expression qu’on vous sort pour condamner ce qu’on croit être un extrémisme des deux bords. L’habit et les habitudes, le langage, la religion, sont les aspects de l’identité. Il est vrai qu’il y a des traits communs à la majorité et non à tous, mais chacun d’entre nous a sa propre identité constituée de référents battis sur son sentiment d’appartenance, son héritage culturel et sur ses acquis.
Essayer de bannir une frange de la société et de la renier sous prétexte qu’elle ne fait pas partie de notre société est une dictature identitaire. Une femme qui porte le voile est toute aussi tunisienne qu’une femme qui fréquente les bars et descend le whisky. De même, répéter « nous sommes des arabo-musulmans » est aussi une façon d’imposer une identité d’un côté et d’omettre d’autres éléments identitaires d’un autre.
Autrement les adeptes de l’identité commune devraient aussi y ajouter « maghrébine, origines berbères, résidus Multi civilisations » ou encore, laisser les gens s’identifier comme bon leur semble. Et la patrie rassemblera tout le monde.
« Pourquoi des Tunisiens iront allumer des bougies devant la résidence de France ? Ils sont des nostalgiques de la colonisation » ou encore « Où êtes-vous les pro-Charlie pourquoi ils ne pleurent pas les musulmans assassinés aux Etats-Unis »…
En Tunisie, dès qu’une personne rend hommage, exprime sa solidarité, ou encore ses émotions envers un drame humain, il y a toujours des gens pour essayer de les opprimer. Le meilleur exemple s’est illustré quand certains Tunisiens se sont attristés pour le meurtre de leur concitoyen Yoav Hattab et qu’ils ont eu envie de lui rendre hommage. On leur a « interdit » jusqu’à l’utilisation du terme « martyr » pour parler de lui car il ne lui scie pas, non musulman qu’il est.
A la fête des mères, il n’est pas rare qu’on lise sur les réseaux sociaux, « célébrez la fête en silence, il y a ceux qui n’ont plus de mère ». Ou encore, à l’occasion de la Saint Valentin, « Elle est triste car elle n’a pas d’amoureux d’autres n’ont pas de mère, ou sont pauvres, ou… ». A-t-on le droit d’empêcher les gens de s’attrister, de célébrer ou de s’exalter même pour des choses sous prétexte que d’autres n’en ont pas ou ne ressentent pas la même chose ou encore y sont indifférents ? L’amour, le deuil, les sources de joie, de satisfactions, de tristesse sont non seulement propre à chacun, mais encore inspirés par les besoins et les aspirations, les plus inconscients parfois de l’individu. Essayer de les dicter ou de les opprimer, ou même de les critiquer, n’est autre que de la dictature sentimentale ou émotionnelle.
Tout cela illustre l’envie des Tunisiens de s’absorber les uns les autres dans un moule, qui aussi large soit-il reste étroit pour les assoiffés de réelle démocratie, de libertés et de droits de l’Homme. Il n’est pas alors surprenant de voir des Tunisiens regretter Ben Ali…