S’il y a une leçon à tirer de la Révolution du 14 janvier 2011, c’est que le schéma de développement adopté a atteint ses limites et que les politiques économiques sont à revoir. La Révolution a été à la fois une chance et un défi. Pour ne pas décevoir, il va falloir tirer les leçons de nos succès comme de nos échecs afin de favoriser une nouvelle stratégie de développement plus équilibrée, favorable à la croissance du secteur privé, à la création d’emploi et à la réduction de la pauvreté. Rappelons au passage que la Tunisie a réussi à mettre en place une véritable politique industrielle durant la décennie 70 qui répondait parfaitement aux défis de l’époque. Une politique qui n’a jamais été revue depuis, afin de répondre et relever les nouveaux défis, différents des anciens.
Partant, apparaît la nécessité d’élaborer une stratégie industrielle forte, car l’industrie demeure la base du dynamisme économique, par son effet d’entraînement sur les autres secteurs d’activité. En effet, il n’y a pas de politique de croissance et d’emploi sans une action résolue en faveur du développement de l’industrie. Parallèlement, il est aussi important d’accorder autant d’importance au développement des autres secteurs, en l’occurrence l’agriculture dont le rendement reste tributaire des aléas climatiques et les services. En revanche, on aurait tort de croire que les services pourraient se développer indépendamment d’une industrie innovante. C’est comme si on pourrait avoir de bons footballeurs en dehors d’un championnat de haut niveau.
De ce fait, l’heure pour les nouvelles autorités tunisiennes est à la redéfinition d’une politique industrielle et à la conception d’une vision stratégique à même de donner un nouvel élan et de répondre aux défis. La priorité devrait être ainsi accordée à des secteurs industriels spécifiques, pour encourager la croissance, les autorités politiques doivent redonner sens au développement des filières qui sont revenues sur le devant de la scène et font figure d’instrument de la nouvelle politique industrielle. L’industrie reste le lieu où se tient la bataille de la compétitivité et l’avance prise par les pays asiatiques au cours des deux dernières décennies s’est faite grâce aux efforts consentis en termes d’investissement industriel.
Une politique efficace de soutien
Dans ces conditions, que doivent faire nos dirigeants pour améliorer les performances des entreprises et de l’économie tunisienne, et s’attaquer enfin structurellement au chômage endémique ? Ce défi est particulièrement difficile, car une vraie politique industrielle implique la conception de programmes sous la responsabilité de l’Etat et exige des secteurs publics et privés de mieux collaborer au développement de nouvelles industries. Elle requiert également la mise en place d’une bonne coordination entre l’université et les entreprises dans les domaines de l’innovation, sans oublier le rôle que doit jouer les banques pour boucler le schéma de financement.
Le volontarisme de l’Etat n’est guère étonnant dans la mesure où il illustre une politique efficace de soutien aux industries dont les retombées économiques et sociales vont de pair avec les objectifs définis tant à l’échelle nationale que régionale.
D’une manière générale, le terme de politique industrielle fait référence à toute décision gouvernementale qui encourage la poursuite d’une activité industrielle ou l’investissement dans ce domaine. Développement économique et croissance durable sont donc le résultat d’une évolution industrielle et technologique constante – un processus qui nécessite la collaboration entre secteur public et privé.
Toutefois, cette collaboration ne devrait pas laisser les bureaucrates se substituer au marché pour définir les secteurs d’avenir. Il faut surtout éviter un retour de l’Etat par la fenêtre alors que les privatisations l’ont fait sortir par la porte. L’histoire nous a montré que l’interventionnisme administratif est souvent voué à l’échec et conduit par ricochet, au gaspillage de l’argent des contribuables. A l’heure actuelle, il s’agit de définir les contours d’un volontarisme industriel totalement orienté vers la préparation de l’avenir et parfaitement compatible avec l’économie de marché. L’Etat doit jouer son rôle d’incitateur et de facilitateur. Il doit encourager davantage l’innovation et aider nos entreprises à devenir compétitives voire leader au niveau régional et global.
L’histoire montre que si dans presque tous les pays en développement l’Etat a essayé de jouer un rôle de facilitateur à un moment donné, cela s’est souvent soldé par un échec. L’histoire économique de l’Amérique latine, de l’Afrique et de l’Asie est jalonnée par des investissements publics inefficaces et des interventions étatiques inopportunes qui ont produit nombre «d’éléphants blancs». Ces échecs fréquents sont dus essentiellement à l’incapacité des Etats à prendre des mesures adaptées aux ressources et au niveau de développement du pays. et de prospection, orientant ainsi les efforts d’innovation des entreprises.
Les enseignements des expériences dans les pays en développement sont clairs : le soutien de l’Etat à la modernisation et à la diversification industrielle doit reposer sur les ressources disponibles. Dans ces conditions, une fois levés les obstacles qui pèsent sur les nouvelles industries, les entreprises privées actives dans les secteurs correspondants deviennent rapidement concurrentielles, tant sur le plan intérieur qu’au niveau international. La question devient alors d’identifier ces industries et d’adopter la politique voulue pour favoriser leur développement.
Savoir identifier les bons secteurs à encourager
Dans ce contexte, les responsables politiques doivent identifier les industries qui ont donné de bons résultats dans des pays qui disposent des ressources et d’un savoir-faire comparable au leur. Une politique industrielle judicieuse doit exploiter davantage les atouts dont dispose le pays concerné et se construire à partir des possibilités d’intégration de certaines de ses industries ou de ses entreprises dans les chaînes de valeurs internationales, tout en évitant de surinvestir dans des secteurs à la traîne sur le plan mondial.
Le bon sens économique nous oblige à distinguer les secteurs qui offrent le plus de perspective de développement et de rentabilité : Des industries qui réussissent à l’exportation ne sont pas toujours celles qui ont le plus d’impact sur l’emploi et sur la valeur ajoutée. Il ne faut pas oublier les secteurs domestiques, y compris celui des services, qui représentent souvent plus de la moitié de la valeur ajoutée.
L’enjeu pour la Tunisie, est d’amorcer un effort d’investissement industriel, pour ne pas laisser apparaître ou se creuser un retard dans des secteurs essentiels pour l’avenir et dynamiques à l’échelle mondiale .L’objectif c’est la création de nouveaux emplois industriels et de services aux entreprises, durablement ancrés sur le territoire et dans des secteurs à forte valeur ajoutée et à fort contenu technologique.
Savoir abandonner les secteurs qui ne marchent pas
Même les secteurs qui paraissent de toute évidence mériter un soutien – des secteurs gagnants à coup sûr – peuvent se révéler décevants dans le climat d’incertitude économique qui domine aujourd’hui. Un Etat doit savoir reconnaître ses erreurs et retirer s’il le faut son soutien avant qu’il ne soit trop difficile ou trop coûteux de faire machine arrière.
La stratégie d’investissement doit cibler tout aussi bien le développement purement intérieur que les investissements directs étrangers. Cela signifie qu’il faut nourrir la compétitivité sur le plan international en cherchant à accroître la productivité industrielle au niveau global, et pas seulement en aidant les acteurs nationaux. De la même manière, la politique technologique doit favoriser simultanément le développement des entreprises domestiques et les transferts de technologie. La stratégie de développement des entreprises doit aussi tendre à renforcer les liens avec les entreprises multinationales. Aujourd’hui, on peut atteindre des objectifs en matière de développement en stimulant la croissance industrielle sur un plan global, et non la seule croissance industrielle domestique.
Mohamed Ben Naceur