Et de trois pour les scrutins programmés dans le cadre du processus du 25 juillet 2021 dont la plateforme politique se veut être la démocratie directe, à partir de la base, du local. Après le référendum sur la Constitution de 2022 et les élections législatives la même année, c’est au tour des élections locales de soulever une vague d’oppositions et d’appels au boycott du scrutin. Les plus radicaux des opposants de Kaïs Saïed, les dénonciateurs et les sinistrés du « coup d’Etat » du 25 juillet 2021, sont décidés à empêcher l’ancrage du projet politique de Kaïs Saïed, à qui ils reprochent de détenir tous les pouvoirs, même si ce projet poursuit, jusqu’à ce jour, son bonhomme de chemin, autant que faire se peut.
Outre les déclarations médiatiques provenant de responsables de partis politiques et d’autres d’activistes indépendants, critiquant l’utilité et le timing de ce scrutin prévu le 24 décembre courant, une pétition signée par des dizaines de personnalités nationales vient d’être lancée à l’adresse du grand public. Cette pétition appelle les citoyens tunisiens à ne pas se rendre aux bureaux de vote le 24 décembre pour élire les 279 Conseils locaux, parmi 7205 candidats en lice, dans 2155 circonscriptions électorales et exhorte les forces démocratiques et progressistes à s’unir pour « faire front à la dérive autoritaire du pouvoir et à agir par des moyens démocratiques pour sortir la Tunisie de la profonde crise qu’elle traverse ». Des appels déjà entendus par le passé mais qui se sont, progressivement, tus depuis l’éclatement de la première affaire du complot contre la sûreté de l’Etat dont les présumés coupables sont écroués depuis plusieurs mois, dans un mutisme total des autorités judiciaires et politiques.
La Tunisie s’apprête, en effet, à organiser les premières élections locales de son histoire pour élire le Conseil national des régions et des districts, une nouvelle chambre haute du parlement créée par la Constitution de 2022, dont les prérogatives sont liées à la réflexion sur les questions de développement socio-économique de proximité d’ordre local et régional et à la proposition de solutions et de projets adéquats. L’exposé des motifs est encourageant et l’expérience nouvelle est tentante dès lors que l’ancien modèle de développement de la Tunisie postindépendance basé sur la centralisation des décisions et des choix nationaux, a atteint ses limites, et que la crise économique et sociale, qui sévit depuis plusieurs années, est dans l’impasse. Sauf que ces élections arrivent dans un climat général économique maussade, sans horizons clairs, et politique tendu, sous l’effet des restrictions sur les libertés, sans oublier l’emprise psychologique du génocide sioniste à Gaza sur le moral des Tunisiens. Ceci, aux niveaux macroéconomique et politique.
A un niveau plus local, la vision des choses peut changer et pourrait créer la surprise, le 24 décembre. Dans les profondeurs du pays, les soucis quotidiens de la population locale sont liés à la subsistance, aux champs de cultures agricoles, à l’eau, à l’école, aux produits de première nécessité, au chômage des jeunes, à l’exode rural…Dans ces lointaines localités, les habitants, parfois peu nombreux, ne sont pas habitués à participer à la planification territoriale et à la décision sur le sort de leur localité, de leur quartier, de leur sort en général. Cette fois, théoriquement du moins, – il faudra attendre l’évaluation de l’action des élus pour juger de son efficacité -, l’opportunité leur sera offerte après le 24 décembre de proposer les projets, petits ou moyens, économiques, sociaux, sportifs ou culturels, censés améliorer le quotidien et les conditions de vie de ces gens. Ces citoyens pourraient être séduits par l’idée de la participation directe au changement de leur quotidien, être encouragés par un proche candidat ou un voisin électeur, et peuvent ainsi créer la surprise en jouant le jeu électoral et en déjouant les pronostics pessimistes qui tablent sur un faible taux de participation aux élections, comme en 2022.
La Tunisie de Kaïs Saïed n’invente pas la roue, ce modèle de développement basé sur la démocratie directe existe dans beaucoup d’autres pays, notamment parmi les plus avancés en Europe, et ça marche. Chez nous, le doute est permis quand le citoyen démarre sa journée en pensant aux longues files d’attente devant les boulangeries, à la pénurie de lait, de café, de sucre ou de riz, au rare et éreintant transport public, aux fins de mois de plus en plus problématiques. Le timing pourrait être un facteur déterminant dans le succès ou l’échec de ces élections. Mais pas seulement. Le climat de graves tensions, créé par le lancement des opérations de lutte contre la corruption dans tous les domaines (commerce, administration publique, sport…) et à tous les niveaux de la hiérarchie, outre la chasse aux présumés « complotistes », paralyse le pays et l’empêche de sortir de l’impasse. Un contexte inquiétant quand on sait que la Tunisie souffre d’un grave manque de ressources financières propres, que les sources de financements extérieures sont fermées et que les Tunisiens font courageusement preuve de patience, aspirant à des jours meilleurs. La question qui se pose est : combien vont-ils pouvoir patienter ?
Le diagnostic de la situation économique est connu, il est fait depuis plusieurs années (économie de rente, monopole, spéculation, économie parallèle…). Pourtant, rien n’a été fait pour y remédier alors que les solutions sont connues. Il y a des freins, des bâtons dans les roues que l’Etat n’arrive toujours pas à supprimer.
Une troisième voie n’est-elle pas possible qui favoriserait la réconciliation nationale tout en poursuivant l’engagement national de la reddition des comptes avec les personnes qui ont gravement nui à la Tunisie ? Cette troisième voie favoriserait le retour des compétences nationales et intègres aux postes clés de l’Etat quel que soit leur passé politique, celui des investissements avec des règlements à l’amiable pour les litiges en cours et celui de la sérénité sociale nécessaire à la durabilité de la paix sociale. Un autre contexte qui est susceptible par ailleurs de revigorer la vie politique, de restituer l’effervescence des périodes électorales et de raviver la fibre compétitive.
En attendant, la frustration est à son comble par manque de visibilité.
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