L’Ours d’Anton Tchekhov aux JTC : le théâtre ne peut être qu’amusant
Un vendredi soir pluvieux du 8 décembre 2023, le public des Journées Théâtrales de Carthage (JTC) s’est déplacé et a été fidèle à cet art de spectacle dans sa septième et avant-dernière journée. Parmi les œuvres phares de cette journée figure L’Ours Anton Tchekhov ; laquelle est une pièce en un seul acte écrite en 1888 et elle est en grande partie une comédie musicale. C’est aussi un vaudeville c’est-à-dire du théâtre léger, amusant, vif et rapide. Le show a démarré vers 19 h 00 et a duré 50 minutes.
Hymne au lâcher-prise
Cette performance légère et comique rappelle que le théâtre n’est pas une activité de cogitation excessive, c’est plutôt un art de rire, de comédie et de la prise des choses à la légère : loin de toute théorie c’est ce que montre clairement en tout cas cette pièce d’Anton Tchekhov. Elle a été interprétée avec humour et comédie même si le fond est funeste. Sa metteuse en scène est Iya Arkhipov, pas très connue et les comédiens aussi. Cet acte théâtral comporte un décor minimaliste avec la tête de l’Ours à droite du spectateur et trois personnages : Popova, Luka et Grigory.
L’intrigue
Cette petite histoire tourne autour de la propriétaire foncière Elena Ivanovna Popova. Celle-ci vit dans une maison avec le vieux valet Luka. Elle voit la misère s’approcher de jour en jour car elle n’a plus de bon gestionnaire sur qui compter. Son Valet, censé la protéger, lui faciliter son quotidien et même l’amuser surtout après la mort de son mari, est un incapable. À ses yeux, c’est donc le vide s’installant après la mort de son conjoint, un riche terrien russe Nikolaï Mikhaïlovitch. Pour Popova, la vie ainsi est terminée après le décès de l’amour de sa vie. Tout son objectif désormais c’est de lui rester fidèle. Plus que ceci, elle doit crier sa loyauté haut et fort à tout individu qu’elle croise dans cette société soviétique orthodoxe exigeant conformité et chasteté de la femme et surtout de la veuve.
Sur scène, au moment du déroulement des événements, on remarque la tête de l’ours tantôt mise en face du public, tantôt en diagonale. En effet, l’ours est un personnage à part entière sur scène, il symbolise la culture russe dans ce qu’elle a d’endurant, de fort et d’attachée à un territoire pour ne pas dire de chauvin. L’amour de Popova pour son mari et son chagrin se traduisent par un sentiment de repli sur soi. En l’occurrence, elle ne veut même plus sortir pour s’occuper du cheval préféré de son défunt à savoir Toby. Elle se refuse à tout travail et tout effort.
Dans cette ambiance de repli sur soi, la sonnette de sa maison retentit, un homme frappe à sa porte : c’est Grigory Stepanovich Smirnov, un jeune propriétaire foncier. Il vient demander son argent que le défunt n’a réussi à payer. Il met donc Popova devant l’obligation d’acquitter, sans plus tarder. Elle résiste. La dette laissée par son mari est mille deux cents roubles pour une quantité d’avoine non encore réglée.
Après un temps où Popova le fait marcher en lui promettant qu’elle trouvera la somme bientôt, il devient irrité et exige le paiement de sa dette même sachant que la veuve ne travaille pas et n’a pas d’argent. De ce fait, la solution qu’il trouve est de s’installer dans la maison de Popova pour être sûr de récupérer son dû. Au départ, Popova sollicite Luka, le valet, pour faire sortir de gré ou de mal Grigory, mais elle constate très vite la difficulté de la chose car il y a un gros contraste entre la faiblesse du premier par rapport à la force et l’obstination du créancier. Du coup, c’est elle-même qui se prend en charge et décide d’entrer en guerre avec Grigory, le riche fortuné amoureux de l’argent. Des chamailles sans fin et des insultes éclatent. Après quelque temps, ils décident de passer aux armes. Popova amène alors les deux pistolets de son mari et appelle Grigory un gunfight où celui tirant le premier sur l’autre et le cible mortellement sera déclaré gagnant ; pendant ce temps, le valet Luka fait rentrer la tête dans le sable à l’image de l’autruche.
Au milieu de cette querelle Grigory, lui le misogyne, devient faible devant le charme de Popova, aidé par la vodka il faut dire, il se dit que c’est une femme pas comme les autres, elle est battante et n’a pas peur de la mort. Comme elle ne sait pas manier le pistolet, il refuse de lui tirer dessus ; l’acte se termine par un long baiser d’amour digne d’un happy-end hollywoodien. Le public applaudit, les acteurs enchantés, le spectacle s’achève sur une histoire simple, mais gravée à jamais dans les annales du monde du théâtre. La leçon : le quotidien est toujours ouvert à l’imprévisible jusqu’au dernier moment ; pour cela, ne jamais perdre espoir !
Mohamed Ali Elhaou