Quel esprit maléfique demeure allergique au secteur touristique ? Tartuffe répond à la question : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir ! » Au mépris de cet avis, quelques touristes étendues sur la plage de Hammamet, ôtent le soutien-gorge pour laisser bronzer leur belle poitrine ensoleillée. A Tunis, au centre-ville et aux abords de la mosquée Zitouna, les boutiquiers, discrets ou blasés, font mine d’ignorer l’attrait des superbes cuisses dénudées. Les islamistes, seuls, par définition rétrogrades et bornés, rouspètent contre la beauté. Couvrez cette 3aoura que je ne saurais voir !
Comment avancer, encore davantage, dans le sens opposé au souhait des enturbannés ? Outre le balnéaire et le saharien, le tourisme culturel est demeuré sous-valorisé. Il se voit souvent réduit aux sites archéologiques.
Deux exemples circonstanciés suffiront à illustrer ce champ d’investigation à explorer. Commençons par le télescopage de l’industriel et du corporel, thème à la fois local et universel. A Degache, Hamouda Horchani, propriétaire oasien, importe une échelle métallique assez allongée pour atteindre le sommet du palmier dattier. Raréfiée, la main-d’œuvre habituée à grimper incite à recourir au procédé mécanisé. Les grimpeurs coutumiers, aux pieds arqués à force de ceinturer le tronc du palmier, développaient d’épaisses callosités en raison du frottement. Mais dès l’usage, l’échelle, inappropriée, fut abandonnée. Elle dresse un spectre grisâtre et dure parmi la verdure. Pareille observation rejoint le propos tenu par Albert Cossery dans son livre « Une ambition dans le désert » : « Partout ailleurs, le despotisme industriel avait dégradé les espaces émouvants de la nature, et il s’en était fallu de peu pour que ce paysage lui-même ne devienne à son tour une aire méphitique renommée. Pour s’en convaincre, il lui suffisait de tourner la tête pour distinguer à travers la brume de chaleur— plantée dans le désert comme une statue de la dérision— l’armature métallique d’un derrick pourrissant au soleil ».
L’auteur évoque un pays du Golfe avant la découverte « meurtrière » de la manne pétrolière. Mis côte à côte, l’échelle métallique et le derrick illustrent un procès mondial mis en branle au plan culturel.
A ce niveau, approfondi, le touristique acquiert une signification authentique. Le deuxième exemple a trait aux troubles psychopathologiques. Ici aussi, les faits recueillis en Tunisie ont partie liée avec la mondialité dans la mesure où le maraboutisme relève du shamanisme d’Afrique, d’Asie et d’Amérique. Aux confins du Chott El Jérid et au village nommé Kriz, opère sidi Hammadi soltane el jinn. Le « fou » est dit habité par le démon. Pour Freud, la démonologie est « une théorie de la maladie mentale ». Nos guides habituels, prévenus contre « l’archaïsme du maraboutisme ne sont guère à même de sensibiliser les visiteurs à ce genre de phénomène social élucidé, entre autres anthropologues, par Marcel Mauss et Claude Lévi Strauss. Il s’agit là de tirer vers le haut un secteur mal-aimé des enturbannés. A ce titre, l’apport de l’anthropologie conforte l’avantage comparé du pays ensoleillé. Albert Cossery compare ce don naturel à la malédiction infligée aux pays pétroliers : « Si ces explosions répétées n’avaient risqué de changer en chaos la merveilleuse harmonie dont jouissait l’émirat à cause de l’aridité de son sous-sol, dépourvu de toute ressource pétrolière, bienheureuse aridité qui avait éloigné de lui les chacals des sociétés internationales toujours à l’affût de rapines planétaires ». Joe Biden retire son pouvoir de ce traquenard. Le 12 décembre, il déclare : « Le gouvernement israélien ne veut pas de la solution à deux États ». Et alors ?
La mainmise sur les ressources pétrolières permet à la fois l’implantation des bases militaires et l’imposition de l’occupation. Une chaîne de causes à effets soumet les pays du Golfe à l’impérialisme israélo-américain. Leurs dirigeants subissent les manifestations populaires dirigées contre l’ampleur des massacres israéliens. Ce même ressentiment est au principe de l’attaque par avions du World Trade Center. Ma voisine et amie Souad Chater me demande : «Pourquoi les arabes demeurent-ils dominés ? Auraient-ils un cerveau moindre que celui des Occidentaux ? » Sabré par Fanon, le professeur Pareur explique cette prétendue infériorité par une différence des « indices céphaliques ». Il n’en est rien.
Dans son ouvrage titré « Race et histoire », Lévi Strauss dénonce l’aberration de pareille supputation. Rien de corporel n’explique l’humain.
Il est défini par son langage et ses représentations. Mais dès l’instant où l’Occident, par son industrialisation, domine et colonise, l’idée d’une supériorité du genre « indice céphalique » se répand. Un effectif notable de gens finissent par acquérir un complexe d’infériorité. Par rétroaction, ils évoquent l’ère où la civilisation arabe fut la première à l’échelle planétaire.
Mais l’une et l’autre attitude relèvent, maintenant, de la dérision. <
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