Par Hakim Ben Hammouda
C’est une ambiance de guerre froide qui régnait à l’ouverture de ce G20 à Saint-Pétersbourg les 5 et 6 septembre derniers. Le conflit en Syrie envenime depuis quelques mois la politique globale et on a assisté rapidement à la formation des anciens blocs hérités de la guerre froide avec d’un côté la Russie qui soutient le régime de Bachar Al-Assad et de l’autre les alliés de l’OTAN, les États-Unis en tête, avec les pays arabes du Golfe qui appuient l’armée libre et l’opposition syrienne. Cet affrontement s’est radicalisé après l’attaque avec les armes chimiques qui a tué des centaines de personnes le 21 août 2013. La communauté internationale s’est divisée en deux camps : ceux qui sont favorables à une intervention militaire immédiate avec les États-Unis, la France et la Turquie et de l’autre un groupe large de pays qui sont opposés par principe à toute intervention militaire comme la Russie, la Chine et les BRICS et ceux qui souhaitent que cette action soit conduite sous la houlette des Nations-Unies.
Ces divisions ont pesé de tout leur poids sur l’ouverture de ce sommet à Saint-Pétersbourg et ont rendu l’ambiance lourde et grave rappelant celle qui prévalait au plus haut moment de la guerre froide. L’atmosphère était d’autant plus chargée que le Président américain ne désespérait pas de rallier d’autres pays autour de lui, particulièrement en Europe où la France était isolée dans la mesure où les grands pays européens avaient rejeté l’option militaire.
Le ciel de ce sommet était d’autant plus ombrageux que les questions économiques à l’ordre du jour faisait l’objet de grandes divergences entre les différents pays ce qui rendait la coordination globale des politiques économiques encore plus complexes. En effet, l’économie globale a renoué avec les turbulences depuis l’annonce le 22 mai 2013 par Ben Bernanke, Président de la FED, de la fin de la politique monétaire expansionniste suivie par les Etats-Unis depuis l’éclatement de la crise financière à l’automne 2008. Cette annonce a eu des effets immédiats sur les pays émergents qui tiraient la croissance mondiale depuis près de cinq ans. Cette politique monétaire a bénéficié aux pays émergents qui ont connu un afflux de capitaux en provenance des pays développés pour tirer profit du différentiel du taux d’intérêt. Ces capitaux ont contribué au financement des économies émergentes et particulièrement des programmes de relance économique mis en place dans ces pays en jouant un rôle important sur les marchés obligataires.
Or, la perspective d’un changement de politique monétaire a eu des effets immédiats sur les pays émergents. En effet, les capitaux et les investisseurs ont commencé à déserter ces pays ce qui a contribué à une chute importante de la valeur de leurs monnaies. Ainsi, la roupie indienne a perdu 25% face au dollar, le real brésilien 15% et le rouble 10% depuis le début de l’année. Les sorties massives de capitaux et la chute des monnaies ont été à l’origine d’une hausse de l’inflation et d’un creusement des déficits externes. Par ailleurs, on a assisté à un ralentissement de la croissance dans la plupart des pays émergents. Ces évolutions ont assombri le ciel de l’économie globale même si on a assisté à un rebondissement de l’économie américaine et de certaines économies européennes.
Cette détérioration de la situation économique dans la plupart des pays émergents rappelaient à plus d’un titre les crises des années 1996-97. Certains n’ont pas hésité à parler de la fin du phénomène de l’émergence et du retour en force de l’Occident après ses années d’éclipse. Les pays émergents se sont mobilisés depuis quelques mois et ont décidé de faire de ce G20 un moment important de discussion et de contestation des choix unilatéraux des politiques monétaires des pays développés, particulièrement des États-Unis, qui ont un impact négatif sur leurs économies. Ils voulaient que les États-Unis reconnaissent lors de ce sommet les dommages collatéraux de leur politique monétaire. Par ailleurs, les BRICS avaient envisagé de tenir une réunion en marge du sommet du G20 pour mettre en place un fonds d’aide aux monnaies des pays émergents les plus en difficulté notamment la roupie indienne.
Ainsi, ce sommet du G20 qui devait fêter les cinq années de l’existence de cette importante institution de coordination des politiques économiques s’annonçait sous les plus mauvais auspices. Non seulement les bruits de bottes autour de la Syrie nous ramenaient à l’ambiance de la guerre froide et de l’affrontement Est-Ouest, mais, les discussions sur les questions économiques, au cœur du mandat du G20, s’annonçaient houleuses entre les pays émergents et les pays du Nord.
Les pronostics des observateurs et des experts se sont en partie avérées infondés. En effet, si les réunions informelles et les discussions sur la Syrie ont confirmé l’isolement des va-t-en-guerre, les échanges économiques ont été plus constructifs et ont abouti sur d’importantes avancées en matière de coordination des politiques économiques. La première question au centre de ce nouveau consensus concerne la coordination des politiques monétaires. A ce niveau, les pays émergents ont donné un signe d’ouverture dès le début du Sommet le 6 septembre, en soulignant que les effets négatifs « des politiques monétaires expansionnistes de certains pays » sont « involontaires ». Plus tard, le Président Obama a assuré ses collègues que les politiques de stimulus seraient arrêtées de manière « graduelle » et « dans des limites raisonnables ». Le communiqué final du G20 est allé plus loin en indiquant que « les changements futurs de politiques monétaires seront calibrés avec précaution, ». Cet accord a pu désamorcer les inquiétudes sur la possibilité d’une nouvelle guerre monétaire entre les pays développés et les pays émergents.
Le second sujet d’accord concerne les questions de croissance et de l’impératif de la relance économique. Cette position défendue depuis le dernier Sommet du G20 au Mexique par les Présidents Obama et Hollande semble avoir rallié tous les membres du G20, particulièrement l’Allemagne. Une unanimité qui a convaincu le dernier mohican de l’orthodoxie économique, la Commission européenne et son Président José Manuel Barroso, à relativiser ses propos sur la rigueur et la consolidation budgétaire.
Enfin, le dernier sujet qui a fait l’objet d’un accord entre les membres du G20 est celui de la fiscalité. Il s’agit d’une révolution pour reprendre les propos de certains experts dans la mesure où pour la première fois les pays se sont mis d’accord pour la mise en place d’un système d’échanges automatiques de données à des fins fiscales à partir de 2015. L’objectif de cet accord est de mettre fin à l’évasion fiscale. Cette guerre à l’évasion fiscale ne se limitera pas aux personnes physiques mais touchera aussi les grandes multinationales qui opèrent une importante manipulation de leurs revenus par le biais des prix internes de transferts.
Ainsi, tenu en pleine crise politique qui rappelle les moments les plus sombres de la guerre froide, c’est finalement l’économique qui est venu au secours d’un G20 dont les chances de réussite étaient minimes.