D’année en année, les Tunisiens ont relevé leur degré d’exigence vis-à-vis de la responsabilité dans tous les domaines. Ils ne supportent plus que les incompétents prennent sans effort la place des compétents et que les médiocres obtiennent avec de l’entregent une cote plus élevée que celle des génies. Ils veulent que tout responsable soit irréprochable, non seulement sur le plan de l’honnêteté et de la probité, mais aussi de l’éthique et de la compétence. L’Histoire nous raconte comment plusieurs pays sont tombés dans l’anarchie parce que la mécanique de la responsabilité s’est déréglée. Un cercle d’incompétents s’offre une échappée dans la cime «altière» de la responsabilité et se détourne de l’intérêt général. Ils pervertissent le système pour bloquer les réformes susceptibles de leur nuire. Cette dramatique dérive fait peser une menace de mort sur le pays du moment où la population sombre dans le désarroi.
La responsabilité est un métier qui s’apprend. Plus un responsable est compétent et expérimenté, meilleur il sera. C’est une règle historique. Sinon, l’incompétent sans connaissances acquises, sans style, sans communication, sans psychologie sociale, fera son stage aux frais du contribuable en tombant dans tous les pièges dressés sous ses pas. Par manque total de ces qualités nécessaires, il offre à l’opinion publique une image dangereuse et absurde de la responsabilité. Malheureusement, cette hydre d’incompétents continue, depuis quatorze ans, de tisser ses toiles dans tous les domaines sitôt que ses fils se défont en repoussant toujours plus loin les limites de l’abjection. Voilà d’ailleurs les caractéristiques les plus affligeantes de plusieurs «responsables» administratifs en particulier, dont l’arrivée aux postes élevés, surtout pendant la décennie de braise, ne fut qu’un hasard désastreux pour ne pas dire un complot programmé. Tout ce qui a structuré la compétence des générations de l’État national moderne a volé en éclats pendant cette période dominée par les islamistes et leurs idiots utiles, où il n’y avait ni de grandes idées ni de grandes solutions. Nous étions dans une parodie de démocratie aux effets pervers.
Dans un discours daté du 29 juin 1968, trop souvent oublié, et pourtant si riche qu’on s’y replonge régulièrement, Bourguiba disait :»Ce qui est très difficile à vivre pour ce pays, ce n’est pas tant les menaces extérieures que celles de l’ignorance et de l’incompétence». À cette époque, la nation s’est construite autour de la compétence nationale. En 2011, l’incompétence a détruit les principaux piliers de la nation. L’hémorragie ne s’est pas arrêtée définitivement. Ignorer cette évidence, c’est s’obstiner dans une escalade qui ne réglera aucun des problèmes du pays. Il aurait été miraculeux, dans ces conditions, que les citoyens ne perdent pas confiance en ces «responsables». L’heure n’est donc plus aux rafistolages, aux petits ravalements de façade. Nous devons nous dépasser, redéfinir l’architecture de la responsabilité, sa notion, sa doctrine, son fonctionnement, bref la réinventer. On ne fait rien d’utile pour notre pays sans de grands responsables compétents, et ceux-ci le sont pour l’avoir voulu.
En tout cas, la bonne nouvelle, c’est la quasi-unanimité avec laquelle la majorité de notre peuple épouse une résistance farouche à l’ardent désir des obscurantistes, depuis 2011, de voir les incompétents perchés à chaque étage de la responsabilité. Un cinglant camouflet qu’on pourrait traduire par quelque chose comme :» Nous sommes en droit de nous attendre à une nouvelle donne pour notre pays ». Après tout, au milieu des ruines d’une décennie de braise, subsiste une occasion pour mobiliser les décideurs autour d’un grand projet de réhabilitation de notre compétence nationale.
336