Aux États-Unis, les policiers en tenue anti-émeute, confrontés depuis plusieurs jours à une colère estudiantine d’une nature et d’une intensité sans précédent, arrêtent de façon musclée et brutale des milliers de manifestants contre le génocide à Gaza et le soutien militaire, financier et politique de leur pays aux criminels de guerre israéliens.
En France, l’université de Lille, soutenue vigoureusement par le ministère de l’Enseignement supérieur, interdit une conférence de l’homme politique Jean-Luc Mélenchon sur la Palestine.
Au Royaume-Uni, les autorités interdisent les manifestations contre la guerre sur le peuple palestinien en les qualifiant de «marches de la haine».
En Allemagne, la police, sidérée par la fulgurance d’un mouvement qui a pris de l’ampleur comme un feu de paille dans la rue, met fin à une rencontre intitulée «Congrès sur la Palestine», deux heures après son début, et empêche plusieurs participants d’entrer sur le territoire national pour se rendre à cette rencontre.
Cette fresque profondément choquante, immortalisée par les réseaux sociaux et quelques médias, dit la vitesse à laquelle les repères d’un Occident «civilisé» peuvent se perdre et les «démocraties» les plus vieilles se défaire, et offre le spectacle d’un monde occidental sombrant collectivement dans le délire protectionniste le plus dramatique. Mais elle pointe aussi les fragilités des fondations du système politique occidental et les possibilités insoupçonnées d’y résister.
Comment devient-on bourreau dans une vieille «démocratie» ? Une question parfaitement rhétorique, la réponse y étant incluse : opposer la liberté d’expression à la sécurité nationale. Plutôt que d’arracher aux citoyens leur droit à la liberté d’expression, comme le font les tyrannies, ces gouvernements «démocratiques» les amènent à y renoncer. «Les conditions ne sont plus réunies pour garantir la sérénité des débats en raison de la montée préoccupante des tensions internationales», a annoncé l’université de Lille pour justifier l’annulation de la conférence de Jean-Luc Mélenchon ! L’histoire récente de la démocratie en Occident est parsemée de «démocraties» autoritaires, voire totalitaires, soutenues par des lobbies médiatiques experts dans la manière de manipuler les évènements et d’inventer des mensonges pour exercer leur pouvoir tyrannique. Aujourd’hui, les manifestants, héros désespérés de la démocratie, résistent seuls avec leurs convictions à la puissance écrasante des pouvoirs politiques voraces et immoraux. Ils évoquent avec courage ces tendances néo-fascistes et fustigent les responsables politiques qui jouent avec le feu, attisent un climat de haine et justifient, quand il ne les soutiennent pas, les «industries» de la mort avec leurs milliers de victimes qui ont transformé en charnier la Palestine occupée. Ce qui se brise ici, c’est une civilisation et à travers tout cela, une certaine idée que les peuples opprimés se faisaient encore de l’Occident. Mais Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir et interdit aux autres d’ouvrir les yeux.
La liberté d’expression, principe fondateur de la démocratie et valeur cardinale en Occident, a joué un rôle déterminant dans la création de l’État moderne et démocratique avec la reconnaissance des droits politiques au dix-huitième siècle, économiques au dix-neuvième siècle et sociaux au vingtième siècle. Et elle fut décisive dans l’affrontement avec les totalitarismes. Malheureusement, comme la fin d’un film de fiction, les principaux ciments qui assurent la cohésion de cette démocratie se sont désintégrés.
Enfin, les Palestiniens ne sont plus seuls. Car, et c’est l’un des grands tournants de l’Histoire contemporaine, les peuples occidentaux se rebiffent contre l’injustice. «Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore», prophétisait Bernanos.
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