Par Aïssa Baccouche
La pyramide est une forme géométrique caractérisée par une base quadrangulaire et quatre faces triangulaires.
Dans l’antiquité, certains peuples ont édifié des monuments qui épousent cette forme, soit pour conserver ad aeternam les sépultures de leurs rois- pharaons – soit pour soutenir un temple comme c’est le cas dans les civilisations pré-colombiennes.
Plus proche de nous, bien que largement controversée, une pyramide, en verre cette fois-ci, a été déposée en 1988 dans la cour centrale du musée du Louvre à Paris, par le fait d’un prince-François Mitterrand (1916-1996) – et d’un architecte pétulant- Ming Pei (1917-2019)-.
Pour répartir la population selon les âges les démographes ont eux aussi eu recours à cette figure emblématique. Ils l’ont tout naturellement nommée : pyramide des âges.
Nul besoin de palabres. Une simple illustration suffit à saisir la ventilation d’une population donnée en fonction des catégories d’âge.
Cette pyramide constitue pour les Etats l’un des outils indispensables pour l’élaboration des politiques de planification économique et sociale.
Or, ce que nous constatons à la lecture des données démographiques fournies dernièrement par les responsables de l’institut national de la statistique c’est que cette pyramide de la Tunisie risque, si l’on ne prend pas garde d’être inversée pour cause de vieillissement indéniable.
Quand nous étions petits, au cours des années 50 et que des gens âgés d’une cinquantaine d’années passaient l’on se demandait ce qu’ils faisaient ici-bas et pourquoi étaient-ils encore en vie. Car il nous semblait que 50 ans était un âge butoir. Il est vrai que nous étions mitoyens du cimetière du village et que chaque jour que le bon Dieu faisait, deux ou trois enterrements étaient de règle.
Mais aujourd’hui que le temps a fait son œuvre, nous ne sommes guère surpris de voir des nonagénaires marcher allègrement dans la ville.
L’un de nos maîtres d’école est décédé à 114 ans. Le fils du Cheikh de la confrérie des Aïssaouia est parti à plus de 100 ans*.
L’autre jour, au cours de son prêche du vendredi, l’imam, voulant fleurir ses propos, a affirmé qu’en Islam la moyenne d’âge est comprise entre soixante et soixante-dix ans et que lui, âgé de 75 ans, bénéficie d’un bonus de cinq ans !
Ce Cheikh vénérable devrait savoir qu’en Tunisie, la moyenne d’orge se situe précisément autour de 75 ans.
Il est vrai qu’elle beaucoup évolué depuis les années de notre enfance. Selon les chiffres de l’INS, l’espérance de vie est passée de 46 ans en1956 à 75,4 ans en 2017.
Par contre les autres aspects de la démographie dans notre pays sont, dans tous les sens, négatifs.
Les taux de natalité, l’indice de fécondité, la taille des ménages et le nombre de mariages – ce n’est nullement un cri d’Orphée ! – se situent dans une zone sombre.
Oyez – donc :
De 2017 à 2021, le nombre des naissances est passé de 210.000 à 160.000 soit une baisse de 23%.
La directrice des statistiques démographiques à l’INS a commenté au micro d’une radio de la place : « ce chiffre est préoccupant ». Le taux de natalité s’est établi donc à 1.4% quant à l’indice de fécondité il n’atteint guère plus de 1,82%. C’est un chiffre horripilant.
Dans sa livraison du 22 mars dernier le journal « le Monde » rend compte en première page des résultats d’une étude publiée le 20 mars dans la revue The Lancet selon laquelle, l’indice de fécondité moyen pourrait se situer en 2050 autour de 1.8 enfant par femme soit au-dessous du seuil de renouvellement de la population.
Ollé ! en Tunisie nous y sommes déjà, en avance de 30 ans. Ce n’est pas tout.
D’autres chiffres corolaires : la taille des ménages est à peine supérieure à 3 ; le nombre de mariages a connu une chute brutale en passant de 110.000 en 2013 à 71.500 en 2021 ; l’âge moyen du mariage se situe désormais autour de 30 ans tandis que pour les couples de diplômés il s’élève à 35 ans.
Au total, on fait de moins en moins d’enfants toutes catégories sociales confondues.
Quand on connait les conditions économiques peu enviables d’une grande frange de notre population l’on se demande si comme certains néo-malthusiens l’énoncent « le lit de la misère est encore fécond ».
C’est vrai qu’en face, c’est-à-dire en Europe, la fécondité décline. L’Allemagne est bel et bien menacée d’effondrement démographique.
En France, la situation n’est pas non plus rose. C’est pourquoi le président Macron a appelé récemment à « un réarmement démographique ».
La dénatalité n’impacte pas seulement le renouvellement de la population mais elle conduit fatalement à la déliquescence démographique. Le vieillissement n’est pas en soi un handicap ni une tare. Mais quand il s’élargit au point de devenir la base d’une pyramide, alors là « bonjour tristesse ».
Un peuple vieux c’est comme un vieil arbre dont la sève se délite et les pousses se raréfient.
Alors avis aux sylviculteurs de notre patrie encensée au mitan des années 50 par l’artiste génial Salah Khemissi (1912-1958) : يبارك في ترابك يا تونس
* Le général de Gaulle (1890-1970) qui disait que « la vieillesse était un naufrage » est mort à 80 ans. Son fils, l’amiral Philippe vient de s’éteindre, le 13 mars dernier, à l’âge de 102 ans.