Le 12 juillet, le site de « Jeune Afrique » portait un titre on ne peut plus délirant pour les Tunisiens, au moment où la répression contre les campagnes de diffamation et la chape de plomb du décret 54 se font de plus en plus oppressantes. «A Tunis, des cadres de la justice et de la police au cœur d’une enquête pour corruption», écrivait le média précisant que «l’enquête, lancée à l’initiative des renseignements militaires, (aurait) débouché sur des arrestations».
Le 14 juillet, dans un communiqué rendu public, le ministère de la Justice réagit fermement contre une campagne de diffamation visant les institutions de l’Etat et les cadres judiciaires et administratifs, promettant des poursuites judiciaires contre « la diffusion des rumeurs et les atteintes à la réputation d’autrui ». Le ministère a tenu, également, à préciser qu’il est « confiant quant à l’intégrité et la loyauté de ses cadres et agents », réaffirmant « le souci de préserver le prestige de l’Etat et de veiller à l’application de la loi sur tous, sans exception ».
La mise en garde du département de la Justice s’adresse à « tous » ceux dont l’implication dans de tels actes sera établie, qu’ils soient en Tunisie ou à l’étranger. A noter que le ministère de la Justice a, également, souligné dans son communiqué, que cette mise en garde vient en réponse à « des informations mensongères relayées par les réseaux sociaux et les sites électroniques portant atteinte à la réputation des juges et des fonctionnaires du département ».
En début de réflexion, il serait utile de rappeler que la diffamation est une infraction punie par la loi, par les législations de tous les pays du monde, y compris dans les plus grandes démocraties, car il est un principe fondamental de droit à la dignité humaine et une valeur universelle de liberté individuelle qui respecte celle des autres.
La diffamation ciblant des personnalités publiques ou politiques se règle généralement devant les tribunaux, car le préjudice peut être considérable, y compris pour la famille et les proches. Cela ne signifie pas que la critique est interdite ou qu’elle doit être condamnée, loin s’en faut, c’est plutôt la calomnie qui porte atteinte à l’intégrité morale et psychique des personnes qui doit être combattue. Et à ce titre, nul n’est au-dessus d’une critique objective, argumentée et constructive, encore moins des élus ou des fonctionnaires de l’Etat dont la mission consiste à garantir des services aux citoyens et à servir les intérêts de l’Etat.
Toute critique est donc bonne à prendre et est censée être une ouverture pour le dialogue, pour des négociations, pour une réflexion sur d’éventuelles réformes. Le but conjoint étant de trouver des solutions à tous les problèmes qui entravent l’amélioration des conditions de vie dans la Cité et le développement socio-économique, culturel et politique du pays. Ceci n’est, bien sûr, possible que dans une situation « normale », c’est-à-dire un contexte politique serein et un régime de gouvernance démocratique, dans lequel l’Homme est placé au centre de toutes les préoccupations, tous les projets et toutes les ambitions nationales.
Pas besoin de se voiler la face. La conjoncture que nous vivons actuellement n’est pas de tout repos ni pour l’autorité politique ni pour les médias ni pour les administrés. L’impact des années de braise est indélébile, se traduisant par des tensions politiques, des difficultés économiques et financières et des défis sociaux. La sortie de l’impasse n’est pas évidente et les choix faits par Kaïs Saïed divisent. Il y en a qui s’opposent au moindre tour de vis et ceux qui approuvent la guerre contre la corruption et la reddition des comptes avec les dirigeants politiques de la décennie noire.
Si un Etat qui se respecte doit tout faire pour assainir le milieu des affaires et moraliser le domaine politique, il faut s’avouer, malgré tout, qu’à trop forcer sur la vis, elle finit par se briser. Et ce n’est sûrement pas ce que veulent les Tunisiens, les patriotes en premier qui placent en tête de leurs priorités la sécurité et la stabilité du pays et la cohésion sociale.
Il conviendrait aussi de se demander pourquoi cette régression des libertés, notamment la liberté d’expression, pourquoi ce sentiment de s’enliser dans l’interdit. A maintes reprises, Saïed assurait aux Tunisiens son attachement aux libertés individuelles et à la démocratie. Pourquoi, donc, les choses évoluent-elles dans le sens contraire ? Pourquoi la communication est-elle si absente, malgré toutes ses vertus ? La parole mesurée, réfléchie, permet d’atténuer les malentendus, de rapprocher les points de vue, d’unir les voix et d’instaurer la confiance. Pourquoi c’est si compliqué de retrouver l’apaisement dans nos murs ? Il faudra, pourtant, bien y parvenir un jour.
Les libertés auxquelles tous les Tunisiens restent attachés à leur corps défendant sont la marque déposée des pays civilisés mais elles ne sont pas sans limites, même les démagogues des plus grandes démocraties libérales l’affirment. En Europe, aux Etats-Unis, au Japon et dans d’autres puissances démocratiques, personne n’est intouchable, aucun responsable politique, haut fonctionnaire de l’Etat, chef d’Etat, célébrité, ou activiste n’échappe à la justice quand une plainte sérieuse est déposée contre lui (ou elle). Pour les Tunisiens aussi, le besoin de liberté est vital. Il faudra cependant faire un effort, beaucoup d’efforts même, pour apprendre à respecter la liberté d’autrui, son opinion, son intégrité morale, et à ne pas marcher sur ses plates-bandes.
Il faut, d’ailleurs, peut-être, commencer par là, par ce b.a.-ba de la communication.
Pensée du jour
* Ce n’est pas parce qu’une personne n’a rien dit qu’elle n’a rien vu. Parfois, le silence est un signe d’intelligence, on l’utilise pour éviter les conneries des autres
Citations
Le pouvoir n’a pas peur des pauvres qui ont faim, il a peur des pauvres qui savent réfléchir
Paul Freire
La vie est telle une pièce de théâtre, mais sans répétitions. Alors chantez, pleurez, dansez, riez et vivez avant que le rideau ne se ferme et que la pièce ne se termine sans applaudissements
Charlie Chaplin
La colère que nous éprouvons envers une personne qui nous déçoit, est directement proportionnelle à l’importance que nous avons donnée à cette personne
- Romano
On ne peut pas mener une vie correcte dans une société qui ne l’est pas
Simone de Beauvoir
Le fait que les hommes tirent peu de profit des leçons de l’Histoire est la leçon la plus importante que l’Histoire nous enseigne
Aldous Huxley