Il était grand temps que l’on mette de l’ordre dans notre monde virtuel, un monde devenu plus réel que les longues heures et les journées passées par nos enfants et même nos adultes les yeux rivés aux écrans de téléphone et de PC. Il s’agit, bien sûr, du temps, long, très long, non professionnel et non studieux, qui est visé par le communiqué du ministère de la Justice publié dimanche dernier (27 octobre) dans lequel il est indiqué que le ministère public est autorisé à prendre les mesures judiciaires nécessaires pour contrer les pratiques immorales qui se développent sur les réseaux sociaux et à poursuivre pénalement toute personne coupable de diffuser du contenu numérique (écrits, images, vidéos) non conforme aux valeurs morales. Parce que c’est là que le bât blesse. Il n’y a aucun doute sur les bénéfices tirés des réseaux sociaux en termes d’informations utiles (scientifiques, économiques, politiques, culturelles, touristiques, de loisirs) et d’ouverture sur le monde et sur les innovations technologiques. Mais il y a le revers de la médaille.
La liberté d’accès aux réseaux sociaux et la facilité avec laquelle il est possible d’entrer en contact avec des millions de personnes par un simple clic, sans oublier des opportunités de gain substantiel et facile, ont condamné les réseaux sociaux à devenir, également, des plateformes incontrôlables pour toutes sortes de crimes cybernétiques et de dérives qui ont impacté la vie de millions de personnes et la vie en société. Si les crimes cybernétiques sont nombreux et divers et n’épargnent pratiquement aucune frange de la population, une de leurs cibles mérite toute l’attention, il s’agit des enfants et des adolescents qui subissent de plein fouet un espace de liberté absolue sans y avoir, souvent, été préparés. Conséquences : addiction, violence, délinquance, suicide, échec scolaire, etc. C’est comme la drogue, les jeux, les trafics ; les individus psychologiquement vulnérables sont endoctrinés, déstructurés. Les études sociales, psychologiques, les faits divers, les rapports d’enquêtes policières et judiciaires dans le monde entier l’attestent en chiffres et documentent les faits réels.
La Tunisie n’est pas en reste. Qui de nous n’en est pas conscient ? Le numérique est là et sera encore plus présent à l’avenir, mais comment protéger les enfants et la société des dérives susceptibles d’être générées par des pratiques indécentes ou dangereuses sur les réseaux sociaux ? TikTok, Instagram, surtout, sont devenus des espaces publics de pugilat verbal entre mari et femme, de joutes violentes contre des adversaires politiques et même contre des pays et des Etats étrangers, des atteintes à la dignité de la femme tunisienne, voire des sites de rencontres où la vulgarité et l’indécence sont légion. Il n’y a aucune limite aux diatribes acerbes, aucun garde-fou. Les réseaux sociaux sont aussi connus pour être des espaces de recrutement par les réseaux mafieux, les réseaux terroristes et les réseaux de prostitution. Comment préserver cette liberté des risques de dérive ?
Il y a péril en la demeure à l’échelle du monde entier si bien que dans les plus grandes démocraties, comme les Etats-Unis et les pays européens, pays créateurs et émetteurs de ces innovations technologiques et fiefs de la liberté d’expression, les dirigeants politiques ont pris la décision de siffler la fin de la récréation.
Ces derniers considèrent que ce réseau social a un algorithme différent de son équivalent en Chine, Douyin et qu’il favorise les activités débilitantes et les contenus hypersexualisés, chez les jeunes, ce qui favorise la pédocriminalité.TikTok crée une dépendance très supérieure à celle qu’on constate sur les autres réseaux sociaux, et les médias parlent régulièrement de drames ayant eu lieu à cause de vidéos TikTok. Il faut se rappeler les drames causés par le jeu du foulard, le jeu de la cicatrice et bien d’autres.
Dès 2022, les gouvernements occidentaux se sont, tour à tour, mobilisés pour contrecarrer le phénomène. Parmi les dernières mesures prises en 2024, l’examen d’un projet de loi par le Congrès américain devant aboutir à l’interdiction de l’application chinoise TikTok aux Etats-Unis et l’interdiction par certains pays occidentaux aux fonctionnaires, aux hommes et femmes politiques, aux personnels de sécurité d’installer l’application chinoise sur leur téléphone professionnel. Ces pays accusent, entre autres, TikTok d’espionner ses utilisateurs à travers leurs données et d’être un outil de lavage de cerveau.
La liste des pays ayant pris des mesures restrictives ou ayant interdit ce réseau est assez longue et compte certains parmi ceux qui se considèrent être les terreaux de la liberté d’expression.
C’est le cas, notamment, de l’Inde, de l’Afghanistan, de la Jordanie, du Pakistan, du Népal, dernier pays à interdire TikTok car son contenu porte préjudice à «l’harmonie sociale» de la nation. Mais aussi la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil européen qui ont voté une disposition, en février dernier, pour interdire l’accès à cette application sur les mobiles professionnels de leurs salariés. Une décision rapidement adoptée dans de nombreux pays dont le Canada, la Nouvelle-Zélande, l›Australie et une partie des pays européens, dont la France.
Il ne faut, bien sûr, pas faire le procès uniquement de TikTok, mais de tous les réseaux sociaux qui sont également utilisés par les gouvernements émetteurs pour manipuler, influer et faire pression sur les opinions publiques des pays qui ne rallieraient pas leurs rangs.
Notre ministère de la Justice a bien indiqué dans son communiqué que cette décision intervient suite à la propagation de pratiques immorales, devenues un phénomène, sur les réseaux sociaux, notamment TikTok et Instagram, envahis par des publications en contradiction avec les bonnes mœurs (violences, indécence, diffamation, injures, fake…). Il s’agit de mettre un terme à l’anarchie. L’équilibre psychique et l’avenir de nos enfants ainsi que notre paix et notre cohésion sociales méritent bien cela.
Toutefois, il faudra savoir raison garder. Nos enfants sont les générations actuelles et futures du Net, il s’agit donc de leur assurer des conditions d’épanouissement dans l’espace numérique et non de le leur interdire. Si le besoin de contrôle de ces plateformes est quasi unanimement souhaité par les Tunisiens, en particulier par les parents d’enfants et d’adolescents, et que la nécessité de sanctionner les crimes cybernétiques est une évidence pour garantir la sécurité des Tunisiens et du pays, il est inutile d’interdire l’un des réseaux sociaux. Il convient, au contraire, d’éduquer les enfants à l’usage rationnel de ces réseaux et de les sensibiliser aux risques qu’ils encourent.
Ce travail de conscientisation doit mobiliser l’école, la société civile et toutes les structures de l’Etat. Il faudra aussi sévir contre les cybercriminels, pourquoi pas une police du Net ? La législation tunisienne, quant à elle, est suffisamment nantie de lois pour contrecarrer ce phénomène ; le décret 54 a de beaux jours devant lui. La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. C’est valable dans le réel comme dans le virtuel.
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