Le combat livré à la contrebande et à la corruption importe autant qu’une lutte engagée face au projet salafiste qui cherche à imposer son hégémonie à l’ensemble du pays. En Tunisie, la coexistence de croyances incompatibles avec les acquis de la connaissance déploie un champ d’investigation apte à élucider le problème soulevé. Or, la reproduction des contradictions au fil des générations montre à quel point intervient la fonction de l’éducation et de la communication. Parmi d’autres, deux exemples permettront d’illustrer cette affirmation. L’un réfère à la configuration géométrique de la Terre et l’autre a trait aux rapports établis entre les genres féminin et masculin. Par leur hétérogénéité, ces deux domaines de recherche, si éloignés l’un de l’autre, suggèrent combien la question posée concerne l’ensemble de la société. Commençons par le second. Le mariage dit “orfi” fleurit, surtout lors de la noire décennie et atteste, ainsi, de sa partie liée à la théocratie. C’est pourquoi un désaccord, approfondi, scinde le pays.
Les bourguibistes le maudissent et les salafistes le bénissent. Ses détracteurs y perçoivent un genre de prostitution et l’accusent de favoriser l’exposition de l’enfant qui en est le fruit, à l’abandon. Les croyants remettent en question pareille appréciation et soupçonnent les « mol7dines » (les mécréants) de se tromper de société. « Pratiquant régulier » d’après la nomenclature de Gabriel Lebras, Nabil Daboussi défend le mariage “orfi” : « L’islam prescrit l’exposition du mariage orfi à la publicité publique. Au moment du repas communautaire, les proches constatent l’alliance et chacun sait, désormais, que tel homme est uni à telle femme devant Dieu et les hommes ». Au vu de cela, élevons le débat. Dans tous les cas de figure, “orfi” ou non, la codification des relations établies entre les sexes définit le mariage reconnu par l’usage.
Dès lors, mariage “orfi”, au style oriental et amour libre, à saveur occidentale, campent sur le même piédestal. Car ces deux types de mariage partagent un point commun.
Ils distinguent le spontané de l’organisé par un trait tiré sur la contractualité.
Pourtant, une différenciation serait à mentionner. Le mariage “orfi” renvoie à l’époque historique antérieure à celle du mariage sanctionné par un contrat légalisé à la municipalité. De là provient sa perception à travers le prisme du salafisme. Et comme la tradition compose avec la modernité, il s’avère malaisé de congédier, tout à fait, le passé. Alors, le mariage “orfi” ressurgit quand régnait Ennahdha combattu par les partisans de Bourguiba. Cette résurgence ou rémanence de l’ancien outrepasse la sphère de l’alliance matrimoniale et enlace la forme de la terre entière.
Chez le buraliste Ali Ben Amor Bayouli, installé au centre commercial Phénicia, prospère un vif débat parmi des clients réunis. J’écoute et voici ce dont il s’agit. La Terre est plate et n’a rien d’une sphère plus ou moins régulière. L’assistance verse au think tank improvisé les versets coraniques parmi lesquels figure celui-ci : « wallahou ja3ala lakom al ardha bisatan ». Outre la forme de la Terre plate et cerclée d’un ruban neigeux, l’accès humain à la lune se voit démenti par les clients réunis. S’il faut des préparatifs complexes pour le départ terrestre de la fusée, comment le départ de la lune serait-il possible ?
Les propos affirmés seraient mensongers. Youri Gagarine est une invention russe et de la propagande erronée. De même, les images montrées sont fabriquées de toutes pièces par les nouveaux moyens de communication et elles n’auraient aucun rapport avec la réalité. Ces convictions erronées où la croyance dément la science englobent, entre autres, le champ médical. Ainsi, les effets physiques de la sciatique auraient partie liée avec la divinité par l’acceptation de la sanction et l’hommage, rendu au très haut, lors de la guérison.
De même, les phénomènes météorologiques ont à voir avec la sphère métaphysique.
Tremblements de terre, cyclones, sécheresses et destruction des récoltes punissent la mécréance.
A Korbous, le médecin explique les effets sur l’ezéma par les propriétés chimiques de la boue et les pratiquants interviewés imputent le traitement des éruptions cutanées à l’initiative maraboutique de sidi Karpenti. La même problématique opère au lieu dit Haouel el wad où la soudaine déviation du torrent dévastateur serait l’effet du saint bienfaiteur, selon ses partisans, et proviendrait de la configuration topographique, pour les scientifiques. Egrenés au fil des années, ces cas de figure fournirent les thèmes de mes articles parus dans Réalités. Quand la mémoire flanche, l’écriture dure et sauve de l’oubli.
De nos jours, l’hécatombe continue à emporter les médias livrés sur papier. Est-ce la rançon du progrès ? g