Economie des médias : un secteur en quête de solutions durables
Autrefois, pilier incontournable de l’information, la presse écrite est aujourd’hui menacée par la révolution numérique. Entre modèles économiques obsolètes, concurrence accrue des plateformes en ligne et érosion des habitudes de lecture, ce média traverse une crise sans précédent. Pourtant, des exemples de résilience montrent que tout n’est pas perdu. En Tunisie, comme ailleurs, les médias traditionnels sont à un carrefour où innovation et adaptabilité pourraient redéfinir leur avenir.

Par Dr Souhir Lahiani*
La fin de la presse écrite : une évolution inéluctable ?
Lors d’une émission sur Radio France, le journaliste Ngiraan Fall a dépeint avec humour et acuité l’état actuel de la presse écrite. Ce média, autrefois pilier de l’information, semble aujourd’hui menacé de disparition, tout comme les dinosaures jadis. Cette évolution suscite des interrogations profondes et des débats sur l’avenir des médias.
L’histoire des médias est jalonnée de prédictions erronées. La radio était censée supplanter les journaux, puis la télévision devait éclipser la radio. Aujourd’hui, Internet semble menacer tous ces médias à la fois. Une question persiste : la presse écrite peut-elle survivre dans un écosystème numérique en perpétuelle évolution ?
L’histoire de Pitchfork : une métaphore de l’évolution médiatique
En février 1996, Ryan Schreiber, un lycéen passionné de rock indépendant, crée Pitchfork, un webzine qui deviendra une référence mondiale de la critique musicale. Pendant dix ans, ce projet repose sur des contributions bénévoles. En 2006, avec une audience de 200 000 lecteurs, Pitchfork devient rentable et s’étend à travers des festivals à Chicago et Paris.
Cependant, en 2015, son rachat par Condé Nast marque le début de la désillusion : restructurations, licenciements massifs, et fusion avec GQ en 2023. Cette trajectoire, de la passion à l’industrialisation, reflète les difficultés systémiques de la presse écrite face à la révolution numérique.
Une crise globale de la presse écrite
Les chiffres sont alarmants : aux États-Unis, près de 3 000 journalistes ont perdu leur emploi en 2022, et un tiers des publications écrites ont disparu en 20 ans. En France, 4 000 postes ont été supprimés. Les plateformes numériques, avec leurs algorithmes, ont bouleversé les modèles économiques des médias traditionnels. Entre 2010 et 2020, l’ère du «putaclic» a privilégié des contenus rapidement consommables au détriment de la qualité.
Le déclin de la presse écrite est multifactoriel :
* Modèles économiques obsolètes : La publicité en ligne est dominée par Google et Facebook.
* Changement des habitudes des lecteurs : Préférence pour des contenus gratuits ou multimédias (vidéos, podcasts).
* Impact des réseaux sociaux : Ils favorisent des informations fragmentées, rendant difficile la monétisation des contenus journalistiques.
Malgré ce tableau sombre, certains médias s’adaptent :
* Le New York Times : Avec plus de 10 millions d’abonnés, il propose une offre variée (podcasts, jeux, guides).
* Le Monde : Une application multimédia enrichie.
* So Press : Contenus exclusifs non disponibles en ligne.
* L’Abécédaire du Son : Fidèle à une écriture passionnée et indépendante.
Où en est l’économie des médias en Tunisie en 2025 ?
En 2025, l’économie des médias en Tunisie est à un carrefour, entre transition numérique inachevée, dépendance financière et perte de confiance du public.
Les géants comme Google et Facebook accaparent les revenus publicitaires, fragilisant les médias traditionnels. Malgré des investissements, les avancées restent insuffisantes. Les jeunes, tournés vers le numérique, accentuent cette tendance.
Malgré des initiatives pour moderniser les médias, la transition numérique reste incomplète. Les géants du web, comme
Google et Facebook, accaparent la majorité des revenus publicitaires, affaiblissant considérablement les médias traditionnels. Ces derniers peinent à rivaliser, faute d’investissements suffisants dans les infrastructures technologiques et la formation des équipes.
En parallèle, les habitudes des jeunes générations, largement tournées vers les contenus en ligne et interactifs, contribuent à l’érosion des supports traditionnels. Cette mutation pose la question de la capacité des médias à s’adapter aux nouvelles attentes.
Les médias tunisiens reposent sur des modèles économiques classiques qui montrent leurs limites face à l’économie numérique :
Publicité : La concurrence des plateformes numériques rend difficile l’accès à des revenus stables, fragilisant l’indépendance des médias.
Ventes et abonnements : La culture des abonnements numériques reste embryonnaire. Les ventes de journaux imprimés, en chute libre, accentuent les difficultés financières.
Subventions publiques et internationales : Bien qu’indispensables, elles suscitent des interrogations sur leur impact sur l’indépendance éditoriale et la durabilité des médias.
La méfiance du public envers les médias est alimentée par la désinformation. Cette situation nuit à la crédibilité des médias et renforce le besoin de transparence. Pour inverser cette tendance, il est impératif d’améliorer la qualité des contenus et de promouvoir un journalisme rigoureux et éthique.
Des solutions en émergence
Malgré les défis, des initiatives comme le Programme d’appui aux médias tunisiens (PAMT2) offrent des pistes pour revitaliser le secteur :
Diversification des revenus : Le développement d’abonnements numériques et l’organisation d’événements pourraient offrir des alternatives viables.
Soutien à la transition numérique : Des financements ciblés et des investissements dans les nouvelles technologies sont essentiels pour moderniser les processus de production et de diffusion.
Réformes législatives : Une meilleure régulation des plateformes numériques et une redistribution équitable des revenus publicitaires pourraient renforcer la viabilité des médias locaux (Instances indépendantes).
Vers une nouvelle économie des médias ?
L’avenir repose sur l’innovation et une redéfinition de la relation avec l’audience. Des modèles hybrides combinant contenus exclusifs, multimédias et expériences personnalisées sont essentiels. Une chose est certaine : la disparition de la presse écrite aurait des conséquences profondes sur l’ensemble de l’écosystème médiatique.
En 2025, l’économie des médias tunisiens est à un tournant décisif. Si les défis restent nombreux, les opportunités ne manquent pas pour ceux qui osent innover et s’adapter. Avec un soutien des acteurs institutionnels et privés, les médias tunisiens pourraient retrouver leur rôle essentiel dans une société plus informée et participative.
* Maître-assistante en Sciences de l’Information et de la Communication, Département communication, IPSI, Université de la Manouba.
* Références :
Emission et podcast « Le Gros Doss » présentée par Ngiraan Fall, Laurence Méride, Tahzio. Ngiraan Fall, février 2024: https://www.radiofrance.fr/mouv/podcasts/le-gros-doss/le-gros-doss-du-mardi-20-fevrier-2024-2874072