La nouvelle loi sur les chèques, qui entrera en vigueur en Tunisie le 2 février, marque une étape importante dans la régulation des transactions financières. En allégeant les sanctions liées à l’utilisation des chèques, elle vise à renforcer la sécurité des transactions et à réduire les abus. Cependant, malgré son ambition louable, cette réforme dévoile des lacunes majeures, notamment en matière de préparation et d’adaptation de l’écosystème des paiements.
Par Mohamed Ben Naceur
Dans de nombreux pays, l’essor des paiements électroniques et mobiles a graduellement remplacé l’usage des chèques comme moyen de paiement principal. La Tunisie, en revanche, n’a pas suffisamment investi dans des infrastructures modernes pour soutenir cette transition. Aujourd’hui, bien que la loi apporte des avantages, son adoption rapide sans un accompagnement adéquat expose le pays à des défis économiques, sociaux et financiers significatifs.
Impact économique
La nouvelle loi pourrait restaurer la confiance dans les chèques en tant que moyen de paiement, notamment en réduisant les risques de chèques impayés et les coûts qui en découlent. Toutefois, elle impose également des contraintes pour les petites et moyennes entreprises (PME), souvent sous-capitalisées et dépendantes des paiements différés. Ces entreprises devront désormais recourir davantage aux paiements en espèces, ce qui aggraverait leurs problèmes de trésorerie.
Depuis plusieurs semaines, des tensions sont déjà perceptibles. De nombreux fournisseurs refusent désormais d’accepter les chèques ou exigent leur encaissement immédiat, fragilisant encore davantage les PME. À terme, certaines d’entre elles pourraient être contraintes de cesser leurs activités, faute de solutions de paiement adaptées pour maintenir leur trésorerie.
Conséquences sociales
D’un point de vue social, la loi protège les créanciers en renforçant les sanctions contre les chèques sans provision. Cependant, cette mesure risque d’exacerber les difficultés des ménages vulnérables, qui utilisent souvent les chèques pour accéder à des biens en paiements différés. La suppression de cette option pourrait priver de nombreuses familles de l’accès à des équipements essentiels, comme les appareils électroménagers.
Pour limiter ces impacts négatifs, il est impératif que les banques commerciales introduisent des solutions alternatives, telles que les paiements différés via les cartes bancaires ou d’autres outils numériques. Ces solutions offriraient aux ménages une certaine flexibilité, tout en réduisant leur dépendance aux chèques.
Défis pour le secteur bancaire et financier
Les banques et institutions financières devront jouer un rôle central dans cette transition. Elles seront amenées à sensibiliser leurs clients sur les nouvelles règles et à investir dans des systèmes de paiements numériques modernes. Cependant, à court terme, la réforme pourrait renforcer l’utilisation de la monnaie fiduciaire, déjà en forte augmentation.
En effet, la monnaie fiduciaire en circulation a atteint un niveau record de 22,5 milliards de dinars en janvier 2024. Cette tendance pourrait s’accentuer dans les semaines à venir, en raison de l’encaissement massif des chèques avant l’entrée en vigueur de la loi.
Recommandations et perspectives
Pour maximiser les bénéfices de cette réforme et atténuer ses impacts négatifs, plusieurs mesures doivent être envisagées :
- Investir dans les infrastructures numériques pour promouvoir les paiements électroniques et limiter l’utilisation des chèques et du cash.
- Encourager les paiements différés via des outils modernes tels que les cartes bancaires ou les portefeuilles numériques, en offrant des incitations adaptées.
- Renforcer les campagnes de sensibilisation pour accompagner les usagers dans cette transition et garantir le respect des nouvelles règles.
La nouvelle loi sur les chèques est une réforme ambitieuse et nécessaire pour moderniser le cadre financier tunisien et renforcer la sécurité des transactions. Cependant, son efficacité dépendra de la capacité des autorités et des acteurs économiques à anticiper et à résoudre les défis qu’elle engendre. Une mise en œuvre progressive, associée à des mesures de soutien ciblées, permettra d’éviter une aggravation des inégalités sociales et économiques.
En conclusion, la nouvelle loi sur les chèques ne doit pas être vue comme une fin en soi, mais comme un point de départ vers une transformation plus large du cadre financier tunisien. C’est une opportunité pour le pays de bâtir une économie plus transparente et inclusive, tout en renforçant la confiance des citoyens et des investisseurs dans le système monétaire national. Pour ce faire, il faudra mobiliser toutes les parties prenantes, garantir une coordination efficace et, surtout, maintenir une vision à long terme qui place l’innovation et l’équité au cœur du développement économique.