La migration illégale en Tunisie fait couler beaucoup d’encre. Prises en étau entre, d’une part, les citoyens qui demandent la sécurité et la protection de leurs biens et, d’autre part, les organisations internationales qui voudraient voir la Tunisie devenir un pays d’installation des migrants, les autorités tunisiennes sont la cible de tirs croisés et d’accusations graves de mise en danger des migrants. L’Organisation mondiale contre la torture et le média britannique The Guardian ont enquêté et fait des révélations accablantes. Une autre contre-enquête tunisienne jette la lumière sur les préjudices de cette migration sur la vie quotidienne des Tunisiens et le coût faramineux de la migration illégale dans une Tunisie qui fait face à l’une des plus graves crises financières et économiques de son histoire.
Les autorités tunisiennes sont accusées de violences sexuelles, d’assassinats, de violences sur enfants et d’autres formes de maltraitance sur des migrants irréguliers subsahariens. Les conclusions d’un rapport de l’Organisation mondiale contre la torture sur la base d’une enquête qui aurait été menée entre mai et octobre 2024 sont, semble-t-il, accablantes. Ces graves accusations ne sont, toutefois, pas nouvelles, l’accord signé en juillet 2023 entre l’Union européenne et la Tunisie, en échange d’une aide de 105 millions d’euros sur trois ans pour endiguer les flux migratoires vers l’Europe, avait déjà soulevé la fronde des ONG internationales qui, soucieuses des droits de l’homme, avaient ciblé les autorités tunisiennes pour les en dissuader. Cependant, un récent article publié par The Guardian sur le même sujet a fait, pour la première fois, réagir l’Union européenne. Une enquête publiée par ce média britannique prétend que les autorités tunisiennes, notamment les agents de la Garde nationale, auraient, entre autres crimes, commis des viols massifs sur les migrants et auraient collaboré avec les passeurs. C’est en raison d’accusations d’une telle gravité, étant donné qu’elles impliquent l’élite des forces de sécurité, que la Commission européenne a décidé, cette fois, de revoir sa politique de financement envers la Tunisie. Des « conditions concrètes » liées au respect des droits de l’homme seront posées pour justifier le maintien de la clause relative aux financements, note le média britannique, ajoutant que des sous-comités devraient être formés au cours des prochains mois en vue de « redynamiser » la relation avec Tunis. Comprendre réajuster.
Guantanamo n’est pas en Tunisie
L’enquête de The Guardian n’a pas gêné que l’Europe, elle a même fait des vagues au Royaume-Uni dont le ministre des Affaires étrangères, David Lammy, a dû faire le déplacement jusqu’à Tunis le 31 janvier 2025 pour rencontrer son homologue tunisien, Mohamed Ali Nafti, avant d’être reçu à Carthage par le chef de l’Etat, Kaïs Saïed. Le flou qui a enveloppé les raisons de cette visite a été dissipé par une vidéo du même ministre visitant un coin du littoral tunisien pour faire découvrir aux Tunisiens le soutien logistique britannique fourni à la Tunisie (drones, matériels de vison nocturne…) pour l’aider dans sa tâche de surveillance et d’empêchement des traversées illégales de la Méditerranée vers les côtes sud-européennes. Un communiqué de l’ambassade du Royaume-Uni publié à l’occasion de cette visite officielle a fait savoir qu’un financement de 6 millions de Livres Sterling (1 Livre Sterling = 1,20 euro) sera accordé à la Tunisie pour renforcer la coopération du Royaume-Uni avec la Tunisie et ses partenaires internationaux en matière de migration.
La tempête ne va pas s’arrêter là mais va s’étendre jusqu’au pays de l’Oncle Sam où Joe Wilson, représentant du 2e district congressionnel de la Caroline du Sud à la chambre des représentants des États-Unis, va s’empresser de demander au tout puissant président Trump d’annuler l’aide accordée à la Tunisie sous prétexte que son président est raciste et qu’il ne respecte pas les droits humains des migrants subsahariens. Un parti pris pour les migrants illégaux africains tout à fait noble et louable sauf que les migrants illégaux mexicains et autres latinos n’ont pas eu cette chance en Amérique. Le 47e président des Etats-Unis a même décidé de faire pire : les expulsions par centaines, voire par milliers, ont commencé dès son investiture et des bâtiments de la sinistre prison de Guantanamo vont être utilisés pour y incarcérer les migrants clandestins coupables de crimes ou de narcotrafic.
Les autorités britanniques, confrontées à d’importants flux migratoires à travers la Manche, ont tenté depuis plusieurs années de juguler le phénomène, sans grands succès, avec leurs homologues françaises : à présent, et pour la première fois, Londres va en contact direct avec un pays d’Afrique du Nord, sur la rive sud-méditerranéenne émettrice de migrants subsahariens, en l’occurrence la Tunisie, s’inspirant sans doute de l’initiative italienne réussie de Georgia Meloni, première ministre italienne. Réussie parce que les chiffres officiels européens parlent d’une baisse de 40% en 2024 des franchissements irréguliers des frontières de l’UE tandis que la Tunisie évoque une baisse spectaculaire de 80% en 2024 des passages par voie maritime de migrants illégaux d’Afrique et 84% par voie terrestre. Selon l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), «cette baisse est principalement due aux mesures préventives prises par les autorités tunisiennes et libyennes pour contrecarrer les activités des passeurs». La question de la migration illégale a été, en effet, au cœur des sujets de discussion entre les trois présidents tunisien, algérien et libyen dans le cadre de la nouvelle alliance tripartite et de ses objectifs destinés à répondre aux problèmes communs que rencontrent les trois pays voisins.
Et les droits des accueillants ?
Ce qui n’est pas pour plaire aux organisations locales et internationales de défense des droits humains. Dès les premiers grands flux migratoires d’Afrique subsaharienne observés en 2012-2013 qui sont allés crescendo vers des catastrophes humaines au large de la Méditerranée et sur les terres tunisiennes, la société civile nationale, liée à un réseau international puissant, a été sur le pied de guerre pour faciliter l’arrivée, le déplacement et le départ vers l’Europe ou l’installation des migrants en Tunisie. Mais le phénomène avait pris de telles proportions, dans la région de Sfax en particulier, proche des points de départ des embarcations de la mort vers les côtes italiennes, en proie à une vague de violences inouïes, que l’Etat tunisien a dû intervenir pour préserver la sécurité des citoyens tunisiens et des migrants. Les propos du Président Kaïs Saïed, fermes et menaçants, tenus en février 2023, refusant catégoriquement de faire de la Tunisie une terre d’implantation et alertant contre un « complot » contre la Tunisie, vont soulever des montagnes de critiques acerbes dans le monde entier accusant le président tunisien de racisme et de xénophobie. Pourtant, les faits sont là, visibles et audibles.
Une autre récente étude, tunisienne cette fois, fait de fortes révélations chiffrées. Une note de recherche sur la migration illégale en Tunisie dirigée par Mourad Hattab, un spécialiste des risques financiers, indique la présence de 50 mille migrants irréguliers dans à peine quatre délégations du gouvernorat de Sfax, dont 20 mille sont concentrés dans les localités de Jebeniana et d’Al Amra. Le coût direct estimé pour le seul gouvernorat de Sfax s’élève à 70 MD par an (le budget de développement du gouvernorat de Sfax ne dépassant pas 60 MD). Les zones de concentration des migrants vivant en communautés fermées sont les zones agricoles, les oliveraies surtout, dont les propriétaires et agriculteurs sont empêchés d’accéder à la partie occupée de leurs exploitations. Pertes indirectes estimées pour la récolte oléicole : 250 MD. Le coût indirect de la migration illégale sur la vie économique en général à Sfax est estimé à 300 MD par an, selon Mourad Hattab. Où sont les droits des accueillants ?
Ce volet de la migration illégale n’apparaît pas dans les rapports des associations locales, ni les efforts de l’Etat en termes de mobilisation des forces sécuritaires pour maintenir l’ordre public et des services de santé pour fournir les soins nécessaires. Nul doute que des manques sont à déplorer mais avec quels moyens la Tunisie fait-elle face à ce phénomène complexe et onéreux, sachant que le pays fait face à l’une des plus graves crises financières et économiques de son histoire ? Par ailleurs, l’aide financière européenne proposée dans le cadre de l’accord controversé de 2023 est insuffisante, tout comme celle fournie par le Royaume-Uni. Pourtant, la Tunisie a réussi à endiguer les flux migratoires, acculée à agir dans un souci, premier, de sécurité nationale.
La Tunisie a formulé, à maintes reprises, sa ferme position contre l’installation de centres d’enregistrement et d’hébergement pour migrants illégaux souhaités initialement par l’UE et réalisés par l’Italie en Albanie. La réaction à cette position, forte et continue jusqu’à ce jour, est venue des organisations internationales de défense des droits de l’homme, surtout après les démêlés avec la justice qu’ont connus leurs antennes associatives tunisiennes et certains activistes tunisiens : contrôles financiers et administratifs, arrestations, garde à vue, détention provisoire, suspension d’activités, comptes bancaires gelés…
Les organisations internationales et les associations locales passent sous silence certains aspects de la question migratoire, d’une importance capitale pour les citoyens tunisiens, ce sont les faits de violence et les agressions contre les habitants des localités où se concentrent les migrants irréguliers, des violences largement documentées mais ignorées par les activistes. L’Union européenne ne peut pas ignorer ces agressions qui sont punies par la loi dans ses pays membres et devra apporter à la Tunisie l’aide, nécessaire, à la hauteur de la complexité du fléau migratoire afin que les autorités tunisiennes puissent y faire face dans le respect des droits humains de tous et de toutes les normes, dans l’intérêt de toutes les parties.
Impact économique lourd
L’impact économique de la présence des émigrés irréguliers, rien qu’au niveau du gouvernorat de Sfax, est très élevé. Près de 50 mille migrants clandestins se trouvent dans la région de Sfax. Selon une étude, le coût de la charge de cette population est de près de 68 millions de dinars.
C’est Mourad Hattab, spécialiste en risques financiers, qui est l’auteur de cette étude. Cette dernière montre que ce coût comporte les dépenses relatives à la santé, au logement, aux services généraux, à l’assainissement et à d’autres besoins de base.
Annuellement, le coût de la santé est estimé à 200 DT et celui du logement s’élève à 600 dinars (le coût du logement individuel est fixé à 50 dinars mensuellement), avec d’autres coûts des services généraux de 360 DT (le coût des services généraux est fixé à 30 dinars par mois et par individu).
Il s’agit également des charges de l’assainissement et de l’hygiène qui sont estimées à 50 dinars par an et par individu, en plus d’autres coûts (éducation et insertion), qui frôlent les 150 dinars annuellement selon les données de cette étude.Pour Hattab, si l’on ajoute les charges liées au développement, estimées à 50 millions de DT, comme budget alloué annuellement à la région, la charge des migrants irréguliers à Sfax s’élève à 70 MDT chaque année.
Bio express
Née le 15 décembre 1965, Dr Henda Laribi Tounsi est une neurologue reconnue et praticienne hospitalière à Paris. Diplômée en médecine de l’Université de Tunis, elle poursuit ses études à la Faculté de médecine de Tunis avant de débuter sa carrière à l’hôpital de Nabeul, puis dans plusieurs établissements hospitaliers de la capitale tunisienne. En 2003, elle s’installe à Paris pour rejoindre son époux, Le regretté Dr Adam Laribi, et y poursuit son engagement médical.
Titulaire d’un diplôme en neuropsychologie et réhabilitation neuropsychologique, ainsi que d’une capacité en médecine du sport de l’Université Pierre et Marie Curie, Dr Laribi Tounsi possède une expertise diversifiée dans son domaine. Ses compétences incluent l’exploration neurologique, la réalisation d’électromyogrammes (EMG) et le suivi de pathologies complexes telles que la sclérose en plaques, les migraines, les troubles de la mémoire, les tremblements et les maladies neurodégénératives.
Son parcours allie une solide expérience clinique et une formation académique avancée, faisant d’elle une figure de référence dans le domaine de la neurologie. Dr Laribi Tounsi incarne l’engagement pour une médecine d’excellence au service des patients et de l’avancée des connaissances médicales.