Depuis son entrée en vigueur le 2 février, la nouvelle réglementation des chèques en Tunisie, instaurée par la loi n° 41-2024, suscite de nombreuses interrogations. Cette réforme vise à renforcer la sécurité des transactions, prévenir les incidents de paiement et assouplir les sanctions liées aux chèques sans provision. Parmi les principales mesures : un contrôle bancaire avant la délivrance des carnets de chèques, un plafonnement à 30 000 dinars par chèque, l’introduction d’un QR code et la mise en place d’une plateforme électronique centralisée pour vérifier la provision.
Dans ce cadre, l’Université Arabe des Sciences (UAS) a organisé récémment une conférence intitulée « Les nouvelles procédures juridiques pour le traitement des chèques », réunissant des experts comme Ahmed El Karm, expert bancaire et financier, ainsi que Mohamed Safraoui, représentant du Conseil Bancaire et Financier (CBF). Cet événement avait pour objectif d’ éclairer les étudiants et professionnels sur les implications de cette réforme pour les usagers et les acteurs économiques.
Lors de son intervention, Ahmed El Karm a considéré que la nouvelle loi sur le chèque est novatrice, salutaire et de rupture. Il reconnaît qu’elle provoque des dysfonctionnements au début, mais estime qu’ils sont annonciateurs de prospérité et de bénéfices à long terme. Selon lui, toute révolution implique une phase de pression et de contrainte pour inciter au changement.
Il a souligné que cette loi vise à moderniser les instruments de paiement en Tunisie. Cependant, il estime que le pays n’a pas anticipé la disparition progressive du chèque ni l’émergence de moyens de paiement alternatifs. Il juge impératif de développer des solutions de remplacement, aussi bien comme instrument de paiement que comme instrument de crédit.
L’ancien haut fonctionnaire à la Banque centrale de Tunisie, a alerté sur l’augmentation de la circulation des billets de banque. Depuis janvier 2024, cette circulation a augmenté de 2 milliards de dinars, atteignant 23 milliards, en grande partie à cause de cette loi. Il appelle donc à renforcer les alternatives comme le paiement électronique.
Il a mis en avant le paiement par carte bancaire comme solution, mais a relevé plusieurs freins à son adoption. Il note que 60 % des utilisateurs s’en servent uniquement pour retirer de l’argent liquide, ce qui va à l’encontre de son objectif. Parmi les obstacles, il cite l’absence de transparence fiscale, les commissions imposées aux commerçants et le manque de volonté de l’État pour promouvoir ce mode de paiement.
Le président d’honneur de l’Association tunisienne pour la promotion de la culture financière (ATCF) propose une refonte du système des commissions bancaires. Il s’agit notamment d’introduire une commission sur les retraits d’espèces au guichet afin d’inciter les clients à privilégier les paiements électroniques.
Dans ce contexte, il a regretté l’absence de terminaux de paiement électronique dans les établissements publiques telles que les recettes des finances, ce qui freine, selon lui, l’adoption du paiement par carte.
Il a plaidé pour le développement du paiement mobile tout en citant l’exemple de l’Inde et du Kenya où ce mode de paiement s’est largement imposé grâce à des solutions simples, interopérables et sécurisées. En Tunisie, il estime que des réformes sont nécessaires pour garantir l’interbankabilité et l’interopérabilité des paiements mobiles.
Par ailleurs il a évoqué la nécessité d’introduire le virement instantané. Ce système, déjà en place dans plusieurs pays, permet d’exécuter des transactions en quelques secondes, 24h/24 et 7j/7. Il considère que la Tunisie dispose déjà des infrastructures nécessaires et qu’il suffirait d’étendre leur usage pour éliminer progressivement le chèque.
L’expert bancaire et financier a également dénoncé l’interdiction du chèque antidaté. Selon lui, 80 % des transactions économiques des PME reposent sur le crédit fournisseur matérialisé par des chèques antidatés. Cette interdiction risque de pénaliser les entreprises et les particuliers qui comptaient sur ce mode de financement pour leurs achats et services.
Il met en garde contre les risques de développement de l’usure. Avec l’interdiction du chèque antidaté, il craint que des usuriers en profitent pour proposer des crédits à des taux d’intérêt très élevés.
De son côté, Mohamed Safraoui, membre de la commission technique et juridique du Conseil Bancaire et Financier, a souligné que depuis son lancement le 2 février 2025, la plateforme « TuniChèque » a enregistré une hausse significative du nombre de comptes ouverts, totalisant 126 000 à ce jour, ainsi que le traitement de 58 000 chèques.