Par Khalil Zamiti
Les quatre personnes du groupe Femen, l’une tunisienne et les autres européennes suscitent un débat limité, pour l’essentiel, à la formation d’un couple d’opposition. La classique mésalliance du pour et du contre unit l’approbation et la désapprobation.
Or l’incarcération de la pensée dans le carcan des opinions favorables et défavorables adresse une invitation à l’action mais clôture l’horizon de la réflexion. Pourtant, à travers le nu vu en pleine rue au temps de la bipolarisation, chacun perçoit une espèce d’anti-burqa. Bien plus accentué parmi les conservateurs le rejet des Femen cligne vers la morale diffuse dont les effets de sens arborent l’allure d’une science infuse. Forme élémentaire de la connaissance, la croyance prescrit a priori le permis et l’interdit. Dans un camp de nudisme, impensable au pays de l’islamisme, l’apparition, trop pudique, d’une femme si peu dévêtue avec des seins nus ferait songer à tout sauf au profil masqué de la tête aux pieds. Nous voici à l’orée de l’étrange continent où règne, sans partage, l’incontournable resignification. Le don réciproque des corps déshabillés livre aux épris la clef du paradis.
Mais la splendeur inouïe des seins nus conduit le quarteron devant le juge d’instruction. Plus aucun théorème ne passe entre la géométrie plane et la construction des figures dans l’espace à trois dimensions…
Les bâtisseurs des mondes sociaux excellent dans l’art de varier, à l’infini, la configuration des codifications régulatrices des comportements.
L’esprit des lois
Outre la question de l’ingérence, de là provient la rouspétance franco-allemande contre le verdict jugé outrancier.
Après le 14 janvier, la Tunisie, ébahie, découvre le débat engagé entre le droit et son esprit. Durant la rédaction de la Constitution, les partisans de l’option démocratique revisitent l’article souhaité par les tenants du choix théocratique. Le complémentaire et l’égalitaire en matière statutaire ne coulent pas de la même source idéologique. Dans le monde social en perpétuelle transformation, prospère la foison des resignifications. Une certaine représentation de l’atteinte aux bonnes mœurs embastille Amina et ses partenaires.
Semé d’embûches, l’histoire titube entre les sens contraires. Face à la même poitrine, les militants politiques observent une protestation contre l’oppression, les violeurs perçoivent une proie rêvée mais les grands seigneurs du cœur voient la splendeur d’une fleur à vénérer. Si Boudelaire m’était conté ce quarteron de Femen semblerait à la fois si « fragile » et si « robuste». Il monte à l’assaut d’une montagne gardée par des milliers de philistins avec, pour seule arme, un marteau à la main. A quoi sert d’enfermer Amina et ses camarades sans guillotiner la transformation des idées au moment où l’interférence des valeurs à l’échelle mondiale outrepasse la fureur des conservateurs ?
Incapables de répondre à l’interrogation, les manières de pasdarans répliquent par la prison.
La Tunisie de la bipolarisation diversifie les prises de positions devant l’action menée par l’audacieux quarteron.
Droit écrit et droit senti
En guise d’exploration, j’ai mis à contribution ma participation au colloque tenu les 14 et 15 juin par l’Institut supérieur des cadres de l’enfance. Distribuées à l’assistance, les feuilles de papier portaient une question esseulée : « Êtes vous pour ou contre les Femen? Pourquoi ? ». Les deux tiers des réponses énoncent un désaveu des Femen pour leur «acte provocateur ».
Hédia Azzabi, maîtrisarde, écrit : « Je suis contre ce mouvement que je considère extrémiste. On peut s’exprimer autrement et d’une manière plus noble qui rend la femme bien vue et respectée. Ces femmes sont malades et devraient être traitées ».
Parmi les « pour » figure le professeur Néjib Jaziri : « je suis pour le mouvement Femen. C’est une forme de protestation qui ne me dérange pas. Elle est efficace car elle attire l’attention ».
Cependant, ce « ne me dérange pas » pourrait déranger la verve des solidaires sans réserve. Le conférencier venu de France écrit : « je suis pour ce qui de manière non violente pose des questions et favorise une dynamique de la pensée ».
Avec les Femen, le support de la séduction devient le moyen de la subversion. Par cette mutation, le droit pressenti remet en cause le droit écrit. La resignification rejoint le procès de l’inversion par quoi la société contemple ses tares au miroir dressé par la contre-société. Amina l’indignée trouve dans la Révolution ses conditions de possibilité. Depuis le crépuscule de l’idôlatrie vouée à Ben Ali, le vide institutionnel révèle une problématique essentielle. Au plan factuel, Amina défie les amants de la burqa.
Par leur distinction, ces donations de sens différents lèvent le voile sur la double donation de sens par quoi la resignification cache l’absence de sens.
Ce risque partagé par le religieux et l’émancipé conduit les adversaires à négocier. Tout peut séparer les voix sauf l’exigence de barrer la route à la société sans État. En outre, je soupçonne les deux clans opposés de rêver ensemble, au continuel défilé des superbes décolletées admirées sur les Champs Elysées ou à Saint Germain des Près.
Le nu et le caché tournaient autour de la même panacée.
K.Z.