Deux semaines après l’attaque terroriste, contre le musée du Bardo, le projet de loi antiterroriste et de lutte contre le blanchiment d’argent est soumis à l’examen de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), pour adoption. Autant l’adoption de cette loi revêt un caractère d’urgence, eu égard aux menaces terroristes qui pèsent sur le pays, autant il suscite une certaine polémique notamment auprès des défenseurs des Droits de l’Homme au sujet de certaines dispositions jugées contraignantes.
Composé de plus de 130 articles, le projet de loi de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent se propose d’améliorer le dispositif juridique relatif à la lutte contre ce fléau et les différents facteurs favorisant sa propagation, à savoir le financement. Pour le législateur, les deux crimes sont intimement liés, vu leurs caractéristiques communes, à savoir les circuits empruntés par les criminels.
Aussi, le projet de loi de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent comprend-il plus de 130 dispositions qui, selon Samir Dilou, député d’Ennahdha, à l’Assemblée des Représentant du Peuple (ARP), tendent à conférer plus d’efficacité dans la lutte contre le crime terroriste , tout en veillant au respect des Droits de l’Homme, garantis par la Constitution et à la protection des forces de l’ordre, de leurs familles ainsi que des victimes et de toutes les personnes travaillant sur ces dossiers sensibles.
Le député a, par ailleurs, souligné que le projet de loi a été préparé dans le cadre d’une commission composée de représentants de la société civile, des différents ministères concernés, à savoir les ministères de l’Intérieur et de la Justice, ainsi que d’organisations internationales relevant des Nations Unies.
M. Samir Dilou a indiqué que la nouvelle mouture du projet de loi de lutte contre le terrorisme, a apporté une certaine amélioration, notamment au niveau de l’affinement des textes, par rapport à la mouture de 2013 discutée, sans succès, à l’Assemblée Nationale Constituante (ANC).
Le député a fait remarquer que dans la nouvelle version du projet de loi, les peines ont été aggravées. A ce titre, il a indiqué que la « peine de mort » est citée 16 fois ! Une peine qui, évidemment ne peut que susciter polémique notamment auprès des défenseurs des Droits de l’Homme. Car, la peine de mort ne peut que susciter une polémique sur le principe même de cette punition.
Des magistrats spécialisés
D’autres juristes estiment que la compétence exclusive des magistrats relevant du pôle judiciaire pourrait ralentir l’examen des affaires terroristes, sans compter le fait que le traitement par les tribunaux des régions concernées serait plus adéquat. Le projet de loi a, dans ce sens, été on ne peut plus clair. En effet, il a prévu l’institution de la compétence judiciaire en matière de crimes terroristes au niveau des poursuites, de l’instruction et des procès, aux magistrats spécialisés nommés au pôle judicaire chargés de la lutte contre le terrorisme.
Partant, le projet de loi a créé une spécialité juridique exclusive au terrorisme, au sein du pôle juridique. Aussi, les juges antiterroristes seront-ils compétents pour enquêter, interroger et juger les personnes soupçonnées de crimes terroristes.
Le projet de loi dispose clairement : le juge d’instruction au Tribunal de première instance de Tunis nommé au pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme exerce ses activités sur tout le territoire de la République sans être lié par les règles de compétence territoriale. Plus encore, le projet de loi a prévu la création d’une instance nationale de lutte contre le terrorisme, chargée du suivi de l’application des traités internationaux et de proposer les mesures à prendre contre les suspects impliqués dans les crimes terroristes.
M Sahbi Jouini, Secrétaire général de l’Union nationale des syndicats de police, a affirmé que la deuxième proposition du projet de loi de lutte contre le terrorisme devrait être ferme. Car, elle est nécessaire, eu égard aux menaces qui pèsent sur le pays. Dans ce sens, il a souligné que les lois évoluent et se développent en fonction de l’évolution des crimes. M. Jouini explique que le crime terroriste n’est pas un crime ordinaire. Outre, le nombre important de ses victimes, le terrorisme est une idéologie, un financement, et des ramifications internationales.
Partant, à crime spécial, il faudrait une loi spéciale. D’où, l’impératif de pénaliser non seulement l’acte terroriste en lui-même mais aussi et surtout, toute personne qui fait l’apologie du terrorisme, qui en fait son idéologie et la défend, qui la finance……
Cela rend nécessaire de qualifier les crimes terroristes de manière à ce qu’ils répondent aux impératifs de dissuasion et soient conformes aux conventions internationales. Il s’agit également de mettre en place de nouvelles méthodes et de techniques modernes en matière de vérification et de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent. Ces méthodes devraient permettre de protéger les victimes et les témoins et mettre en place des mécanismes propres à les prémunir contre les groupes terroristes.
Divergences de positions
Les avis demeurent divergents au sujet du projet de loi de lutte contre le terrorisme. Abada Kefi, député de Nidaa Tounes et président de la commission de législation générale à l’ARP, a déclaré, qu’il ne s’agit que d’un simple toilettage de la loi antiterroriste de 2003, toujours en vigueur. En effet, toutes les affaires liées au terrorisme ont été, sans exception, jugées sur la base de la loi de 2003. Cependant, selon l’avocat pénaliste et député Nidaa, la différence entre l’ancienne loi et le nouveau projet de loi, réside dans le fait que le projet en cours d’examen, organise l’infiltration des groupes terroristes, les écoutes, etc, contrairement à celle de 2003. Sans compter que le nouveau projet de loi donne plus de garanties aux enquêteurs et plus de temps d’action.
Radhia Nasraoui, présidente de l’Organisation de lutte contre la torture a de son côté exprimé sa crainte quant à certaines dispositions du projet de loi qui risque de bafouer le respect des principes fondamentaux des Droits de l’Homme. Elle a affirmé son rejet de la torture « même s’il s’agit de terroristes qui s’attaquent aux forces de sécurité et aux hommes politiques et les assassinent ». Elle a fait savoir récemment que les autorités tunisiennes ne reconnaissent pas l’existence de la torture, d’autant, affirme-t-elle, que des détenus sont morts sous l’effet de la torture dans les prisons.
Pour cette raison, elle exprime son refus de la torture infligée aux terroristes nonobstant la nature du crime, la personne et le caractère odieux du crime commis.
Les mêmes craintes ont été exprimées par Emna Guellali, de Human Watch Rights. Elle a réitéré que ses appréhensions sont légitimes dans la mesure où sous couvert de lutte contre le terrorisme les droits essentiels peuvent être bafoués. Car explique-t-elle, le champ d’application de la loi risquerait d’être élargi et étendu pour rétrécir les libertés, de la presse, les libertés individuelles et autres…….
Le projet de loi de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent sera bientôt examiné en plénière par l’ARP. Actuellement, il est soumis à l’examen de trois commissions parlementaires. Ce qui peut paraitre paradoxal, c’est que depuis maintenant plus de deux ans qu’on réclame, à tue-tête, l’entrée en vigueur de cette législation spécifique qui une fois prête ces mêmes voix s’élèvent à nouveau pour avertir des risques qu’elle représente.
Nada Fatnassi