Un faible impact sur la Tunisie, c’est ce que prévoient les analystes tunisiens concernant les nouveaux tarifs douaniers que le président américain a décidé d’imposer à tous les pays qui ont des échanges commerciaux avec les USA, soit 185 pays et territoires à travers le monde. Selon les chiffres officiels, le volume des échanges entre la Tunisie et les USA ne dépasse pas, en effet, 3,5% du total des exportations tunisiennes. Ce, en dépit du fait que les exportations tunisiennes vers les Etats-Unis bénéficiaient d’un accord préférentiel d’allègement des tarifs douaniers – nuls pour certains produits tels que les articles en cuir brut non finis, tapis artisanaux, marbre…– connu sous l’appellation « Système généralisé de préférences » (SGP), tandis que l’imposition douanière sur les importations à partir des Etats-Unis atteignait jusqu’à 55%. Néanmoins, ce SGP a permis aux exportations tunisiennes vers les Etats-Unis de progresser et de se diversifier, bénéficiant à une large gamme de produits locaux (3500) dont essentiellement l’huile d’olive en bouteille, les dattes, le textile-habillement, certains produits manufacturiers issus des industries mécaniques et électroniques. Depuis le 2 avril courant et par décret présidentiel, les tarifs douaniers américains sur les produits tunisiens ont connu un sursaut passant à 28%.
Il faut, sans doute, espérer que l’impact de ce chamboulement commercial soit faible sur notre économie nationale mais rien ne l’assure. Les traditionnels partenaires économiques européens de la Tunisie risquent d’être lourdement impactés par le virage protectionniste américain et être contraints par conséquent de compenser les manques à gagner en les répercutant sur leurs échanges commerciaux avec les autres pays. Dont la Tunisie qui compte l’Europe comme premier partenaire économique. Il faut sans doute s’y attendre mais aussi et surtout, s’y préparer. Et ça urge.
Les économistes du monde entier parlent de « tremblement de terre », de « guerre commerciale », de « mur tarifaire », de « déstabilisation du cadre commercial mondial », et annoncent des répercussions très inquiétantes, voire dévastatrices, sur l’économie mondiale : récession économique, hausse des prix, inflation mondiale. En clair, Le Monde du 4 avril 2025 écrit sur son site : « Après quatre-vingts ans de réduction progressive des barrières commerciales, l’économie mondiale est en train de vivre un tournant historique. S’il ne revient pas sur ses décisions, Donald Trump aura fait passer en trois mois les droits de douane américains sur les importations du reste du monde de 2,5% à 25%, leur plus haut niveau depuis les années 1930 ». Soit, depuis près d’un siècle. Trump aura ainsi donné un coup de frein au libre-échange – un système commercial solidement construit après la Seconde Guerre mondiale – dont l’objectif visé et déclaré par le président américain lui-même est de promouvoir la production locale américaine, d’encourager (forcer) les investisseurs étrangers à investir aux Etats-Unis et de rapatrier les usines outre-Atlantique. Le retour au protectionnisme de l’Amérique de Trump, déjà annoncé dans ses multiples discours de campagne pour la Présidentielle de 2024, avait commencé avec une autre guerre, celle-là contre les migrants et les étrangers. Il faut croire qu’en moins de cent jours à la Maison-Blanche, Trump nous en a fait voir de toutes les couleurs et ce qui se passe actuellement à Gaza, c’est sans doute « l’enfer » qu’il a promis aux Palestiniens qu’il cherche à faire sortir de leurs terres par la force en vue de récupérer l’enclave et en faire, comme il le souhaite, la « Riviera du Moyen-Orient ».
C’en est donc fini de la page d’histoire dans laquelle on ne jurait que par le libre-échange, l’économie de marché, la mondialisation, le rapprochement par le biais de l’économie. Le monde a été, à juste titre, jeté dans une zone de grandes turbulences dont aucun pays, aucune puissance, n’est en mesure de prévoir la profondeur, l’ampleur et la durée. Une chose est sûre : d’ici la fin du mandat de Trump en 2028, tout va changer dans les relations internationales, qu’elles soient économiques, sécuritaires ou diplomatiques.
L’Europe, choquée par la volte-face américaine en Ukraine, s’attelle déjà à revoir sa politique de défense vers plus d’indépendance en orientant le curseur vers son réarmement. En ce qui concerne les nouveaux droits de douane décidés par Trump, les Européens sont encore à la recherche d’une issue à l’inévitable crise, partagés entre une riposte ferme, d’un côté, et des négociations pour arrondir les angles, de l’autre.
Réfléchir à atténuer l’impact du nouveau « mur tarifaire » de Trump, c’est la tâche sur laquelle les 185 pays concernés vont se pencher s’ils ne l’ont pas déjà fait. Quid de la Tunisie ? Les officiels, chef d’Etat, membres du gouvernement et autres, n’ont pas cru bon de réagir à chaud le 31 mars dernier ni le lendemain ni le surlendemain. Soit. Il faut, malgré tout, souhaiter que la machine gouvernementale soit mise en branle et que tout soit mis en œuvre pour prendre la décision idoine, qui tienne compte des intérêts nationaux. Certaines analyses amenuisent les effets des nouveaux droits de douane américains sur certains produits tunisiens sous prétexte qu’ils sont d’excellente qualité et, en d’autres termes, irremplaçables, tels que l’huile d’olive. C’est ce qu’on appelle « aller vite en besogne ».
Le tremblement de terre qui a frappé le commerce international doit être l’occasion propice pour la Tunisie de changer certains de ses paradigmes et autres habitudes. Il est temps d’élargir, le plus possible, le spectre de ses relations économiques internationales, de diversifier ses partenaires commerciaux tout comme ses partenaires économiques et de pousser vers la remise en marche de la locomotive du développement de la région du Maghreb, notre bouée de sauvetage et celle de nos quatre voisins face à tous les tsunamis.
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