À l’heure où le chaos frappe en aveugle dans le monde et où les gesticulations musclées de nouveaux tyrans couvrent de plus en plus les appels à la raison, s’est opéré un retournement du risque géopolitique dans la mesure où les États-Unis, «champions» déclarés de la liberté et de la démocratie, bâtisseurs de l’actuel ordre international, apparaissent comme la principale source du mal. Cette dérive peut encore évoluer dangereusement au regard de la montée en Europe des formations d’extrême droite, qui pourraient s’aligner sur la politique américaine et surgir comme un symptôme supplémentaire d’un monde totalement déboussolé. On ne parle pas ici des évolutions qui, depuis la fin de la guerre froide, n’ont pas cessé de bouleverser le profil de la scène internationale, notamment l’émergence de nouvelles puissances. Donc désarroi et inquiétude : personne ne sait plus à quel saint se vouer.
Nous sommes face à plusieurs jeux cruciaux tels que les inconnus de la nouvelle direction américaine, toujours plus décidée à privilégier ses intérêts nationaux, les bruits de guerre, les dérapages d’une mondialisation incontrôlable, l’Europe déstabilisée, voire paralysée, trop souvent condamnée à la soumission aux ordres de l’Oncle Sam et la planète asphyxiée.
Dans ces conditions, notre pays se trouve au cœur des risques liés à la pauvreté, au changement climatique, à la facturation des tissus sociaux, à la mutation de la menace djihadiste, aux flux migratoires, à la montée de l’insécurité, à la perte des repères culturels et au désarroi identitaire.
Comment faire, alors que ce bouleversement ravageur et ses conséquences rapides secouent la plupart des pays comme une lessiveuse ? Ce qui risque de nous frapper d’affaissement, c’est l’inaction face au danger. Malheureusement, nos élites n’ont plus l’impression de participer à la marche de ce monde, mais d’être écrasées par elle, comme saisies de panique, incapables de penser et d’agir rationnellement en continuant à dresser les rideaux de fumée pour camoufler les bouleversements embarrassants autour de nous.
L’heure n’est donc plus à l’exaltation des passions nationales et religieuses et à la contestation radicale de la civilisation occidentale, dont les valeurs sont rejetées. Les Tunisiens, confrontés à des choix existentiels, doivent se dépasser, redéfinir l’architecture de leur politique dans tous les domaines, leur doctrine et son fonctionnement, leurs alliances, bref se réinventer.
Nombreux sont ceux qui aimeraient ne nous donner à écouter que des «analyses déroulées», où la désinformation, allant de soi, y retourne aussitôt, comme celle du caméléon qui ne sort que pour enfouir sous les mensonges une évidence encombrante.
Ce n’est pas un appel â écouter les sectes, les braillards apocalyptiques, les marchands de la peur, les complotistes et les pessimistes. Mais il faut reconnaître que la situation dans le monde entier est critique et il est désormais impossible de l’ignorer. Les pays vulnérables sont au creux d’un carrefour vers lequel dévalent plusieurs trains fous dont les freins ont lâché. C’est le spectacle le plus déprimant qui soit. Sera-t-il propice à la réflexion sur le renouvellement d’un modèle économique, social et politique ? Impossible de continuer sur la même trajectoire sans qu’on discerne les voies d’un changement acceptable. «Le grand art, disait Napoléon, c’est de changer pendant la bataille»
Qu’importent les coups du sort, l’espoir renaît toujours. La Tunisie est féconde et intensément créative. Il suffit qu’elle prenne son destin en main en choisissant la transparence plutôt que l’ambiguïté, les réformes plutôt que le statu quo, l’intégration plutôt que le ruineux isolationnisme.
Ce qu’il nous faudrait, n’en doutons pas, c’est un socle de valeurs communes constitutives d’une Tunisie libre, démocratique, solidaire et compétitive.
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