A l’heure où des écoles n’ont pas encore accès à l’eau, à l’heure où des enfants marchent plusieurs heures à pied pour rejoindre les bancs de l’école, Noomane El Fehri, le ministre de la Technologie de l’information, remet sur la table la vieille et « futuriste » école numérique. « Un retour vers le futur » ?
Le cahier tactile !
Voilà le futur cartable, dit-il lors d’une conférence de presse tenue à la Kasbah en montrant sa tablette.
« Plus de stylos, plus de cahiers » annonce t-il fièrement.
« Regardez Seoul, les Etats-Unis … Bientôt, il y aura deux mondes, le monde numérique et le reste … Nous nous devons faire partie du monde numérique, sans quoi nous ne pourrons jamais avancer ».
Les journalistes présents à la conférence étaient quelque peu étonnés d’un tel programme pour les années qui suivent … Tout le monde connaît l’état de nos écoles dès qu’on s’éloigne un peu des quartiers huppés, sans parler des écoles primaires situées dans les zones rurales. Le ministre prétend que ces tablettes coûteront moins chers que les cahiers, livres et stylos …
Fabriquera t-on alors des générations qui ne savent pas écrire ? Des générations « d’autistes » ? Un monde parallèle ?
Et nos enfants dans tout ça ?
«Comment peut-on parler d’un tel projet sans qu’il y ait une préparation au préalable ? Dans la société dans laquelle nous vivons, nous ne sommes pas capables de mettre en place un tel projet. Il risque d’avoir de grands dégâts » a réagi Dr. Moez Cherif, président de l’association des droits des enfants.
Les médecins ont longtemps averti quant aux conséquences de ces outils laissés trop longtemps entre les mains de nos enfants… Peut-on alors se permettre de les laisser toute la journée face à cet outil. A-t-on pensé aux conséquences sur la psychologie, le développement et même la vue de nos enfants ?
« Laisser un enfant, surtout un jeune enfant, trop longtemps face à un monde virtuel présente un grand risque de fabriquer un enfant autiste. L’enfant doit être en contact avec le monde réel, il doit toucher, sentir, parler, écouter et communiquer avec de vraies personnes. L’utilisation prolongée de la tablette crée des automatismes et détruit le système de pensée. » nous livre un pédopsychiatre …
Détruire le système de pensée, développer des automatismes… N’est-ce pas finalement le meilleur moyen de fabriquer des robots et même des terroristes.
Peut-on de cette façon se permettre des avancées technologiques à l’heure où la réforme éducative n’est pas encore établie, à l’heure où on reproche au système éducatif d’être « abrutissant » dans le sens où l’enseignement philosophique n’a pas la place qu’il faut ni même la culture générale ?
Une étude américaine de l’Université de Californie dit notamment que sur plus de 2 000 enfants scolarisés, l’impact des écrans sur le sommeil des enfants n’est pas négligeable. Les chercheurs américains ont constaté que pour les enfants ayant accès à des tablettes, la durée du sommeil est inférieure de 21 minutes par rapport à ceux qui n’ont pas cet outil à portée de main.
Un programme techniquement réalisable ?
Le ministère de l’Education avait également parlé de ce programme il y a plusieurs années. Le ministère de la Technologie prévoit quant à lui le partenariat avec plusieurs grandes enseignes de telle façon à démocratiser cet outil et que le coût soit le moins élevé possible. Selon Nomane El Fehri, de toutes les façons, nous n’avons pas le choix. Nous devons franchir ce pas. Le ministre a choisi une photo très évocatrice pour illustrer ses propos. Un train au sommet d’une montagne à gauche et à droite, un gouffre. Un homme, représentant la Tunisie saute et tente de mettre un pied dans ce train qui a l’air de rouler à toute allure. Ce train représente « la numérisation » du monde. Quand on demande à Noomane El Fehri si l’impact de ce programme sur la santé des enfants a-t-il été pris en considération, il répond que la situation économique ne nous laisse pas le choix, nous devons avancer pour combler la faille qui existe entre nous et les autres pays développés. Il se dit toutefois prêt à recevoir les professionnels et la société civile spécialisés dans le domaine de l’enfance.
L’ambition de ce ministère est de faire de la Tunisie le premier pays « numérique » dans le monde africain et l’un des premiers dans le monde arabe.
Yasmine Hajri