Est-ce que notre société a du plomb dans l’aile ? On le croit, on le craint. Il suffit de suivre l’actualité pour savoir combien nous sommes gravement en crise. Cela fait quatorze ans que le pays est pris dans le tourbillon d’un des plus longs cycles de violence qu’il ait traversés depuis des décennies. Plusieurs meurtres en quelques jours. Du jamais-vu. Comment avons-nous pu laisser faire cela ? Par négligence, désinvolture, irresponsabilité, faiblesse ou lâcheté ?
C’est en identifiant tranquillement ce fléau, devenu la première obsession des Tunisiens, non en le niant, qu’on a une chance de le régler un jour. Le flou du diagnostic, on le sait, ne permet jamais les bons remèdes.
Il faut, tout d’abord, regarder les choses en face, la violence est très profondément enracinée dans notre société. On aimerait penser le contraire, mais c’est un fait. Je n’ai jamais brillé dans le pessimisme, mais cette violence reste comme le symbole du nouveau degré de chaos qu’a atteint la situation dans notre société. Malheureusement, nos élites ne se sentent pas concernées par ce fléau désastreux. Elles donnent l’image calamiteuse d’une intelligentsia qui cherche d’abord à enfouir sous les fausses justifications un fantôme encombrant et, à l’image de leurs élites, les Tunisiens ont commencé à s’habituer au pire. Face à ce qui apparaît aujourd’hui comme un cocktail détonnant, surtout dans un domaine aussi primordial comme la sécurité, il y a eu un aveuglement total, une défaillance majeure.
Si le phénomène n’a pas encore renversé les tables dans le pays, il faut reconnaître qu’il progresse partout autour de nous, dans la rue, dans les stades, aux foyers familiaux, à l’école… Il aurait été miraculeux, dans ces conditions, que les principaux ciments qui assurent la cohésion de la société ne se désintégrent pas. Pendant que cette ossature disparaissait, les fractures se sont élargies et l’incroyable délitement de la société s’est accéléré sur fond d’incivilité et de brutalité incontrôlable. Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites. Quand la lie fait la loi, il n’y a plus d’ordre social. Plusieurs coups de semonce auraient dû sonner l’alarme. Mais les quelques tentatives en ce sens ont fini par se perdre dans le flou ou l’arbitraire. Hélas, notre société continue, depuis le 14 janvier 2011, à refuser de supporter les remèdes de ses maux. Pour mener à bien leurs politiques destructrices, asseoir leur pouvoir tyrannique, augmenter leurs fortunes, les islamistes ont
compris que, dans un pays aussi éruptif que le nôtre, il est nécessaire de franchir tous les cercles de l’enfer ! Après leur chute, on a souhaité que cette politique criminelle devînt le déclic qui nous fera enfin comprendre la gravité de la situation, nous indigner contre celle-ci et refuser de nous y soumettre et qu’à la résignation succède la résistance. Peine perdue ! Au-delà de quelques propositions individuelles, nous manquons cruellement d’idées directrices partagées collectivement par tous les concernés. Rien n’est vraiment rassurant, comme si ce que les islamistes ont brisé, criminellement brisé, pendant la décennie de braise, était irréparable ! Mais si nous continuons à rester les bras ballants, nous serons bientôt engloutis dans les marécages de cette violence ravageuse.
Nous avons appris à l’école que la vocation première de l’État est de protéger les citoyens, non seulement des risques qu’ils encourent, mais de tout ce qui, de près ou de loin, est dangereux et destructif. Il faut, donc, réagir au plus vite pour empêcher que ne s’enclenche un fâcheux processus de démobilisation face à l’»ensauvagement» de la société et à l’installation d’un climat de violence généralisée en commençant par changer rapidement de discours, de méthode, de politique, de stratégie même.
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