Le nouveau cadre législatif relatif aux chèques, récemment adopté par l’Assemblée des représentants du peuple, suscite une vive inquiétude parmi les acteurs économiques. Ainsi l’expert Ridha Chkoundali a écrit sur sa page Facebook : “La nouvelle loi sur les chèques est l’une des pires lois jamais adoptées par le Parlement tunisien. Elle a complètement paralysé la vie économique et est devenue un fardeau pour le vendeur comme pour l’acheteur. Elle a fait reculer la Tunisie de plusieurs années en arrière, favorisant le retour en force de l’économie parallèle, avec une recrudescence des transactions en espèces en dehors des cadres réglementés”.
Dans un contexte où l’économie tunisienne peine déjà à retrouver son souffle, cette loi a brusquement restreint l’utilisation des chèques, un instrument de paiement essentiel dans de nombreux secteurs. Le durcissement des sanctions, l’absence de solutions de substitution accessibles et la complexité des nouvelles procédures ont découragé à la fois les émetteurs et les bénéficiaires de chèques. Résultat : de nombreux commerçants, artisans et petites entreprises se retrouvent privés d’un outil indispensable à la gestion de leur trésorerie.
Plus grave encore, cette législation a involontairement encouragé le développement de l’économie informelle.
Par ailleurs, depuis l’entrée en vigueur de la plateforme électronique unifiée des chèques, TuniChèque, le 2 février 2025, la Tunisie connaît une transformation radicale – et controversée – de son système de paiement. D’après les dernières données publiées par la Banque centrale de Tunisie (BCT), le volume des chèques en circulation a chuté de 94 %, une baisse vertigineuse qui traduit l’ampleur du bouleversement provoqué par cette réforme.Si l’objectif initial de TuniChèque était de moderniser les paiements, de renforcer la traçabilité et de lutter contre les abus liés aux chèques sans provision, son impact réel semble beaucoup plus contrasté. Cette dématérialisation brutale, imposée sans phase de transition suffisante ni accompagnement adéquat des usagers, a provoqué une rupture dans les habitudes économiques, en particulier chez les commerçants, artisans, petites entreprises et professions libérales qui utilisaient encore massivement les chèques comme moyen de paiement différé.
En l’absence d’alternatives viables – notamment pour ceux qui n’ont pas un accès fluide aux moyens de paiement électroniques ou au crédit bancaire – de nombreux acteurs économiques ont été contraints de se tourner vers les transactions en espèces. Ce retour massif au cash a non seulement ralenti les circuits financiers officiels, mais a également donné un coup d’accélérateur à l’économie informelle, échappant à tout cadre réglementaire et fiscal.
La chute de 94 % du volume des chèques n’est donc pas seulement un indicateur technique ; elle reflète une perte de confiance généralisée dans le système bancaire et dans les politiques publiques de réforme. Elle interroge aussi la pertinence du rythme de cette transformation numérique, qui, bien que nécessaire à long terme, semble avoir été mal conçue sur le plan opérationnel.
Face à cette situation, plusieurs voix s’élèvent pour demander une révision en profondeur du dispositif TuniChèque et de la législation associée, afin d’éviter un effondrement durable de la bancarisation et d’endiguer la montée préoccupante de l’économie parallèle.
M.A.B.S