Même si les défenseurs des Droits de l’Homme sont parmi les premiers à condamner les attaques terroristes, ils sont convaincus que les solutions les plus efficaces pour lutter contre ce phénomène résident dans le respect de l’Etat de droit et des traités internationaux, en matière de Droits de l’Homme, cela va sans dire.
Aujourd’hui, le message est lancé par l’organisation Human Watch Rights (HWR), en direction de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), appelée à examiner le projet de loi de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent. En effet, l’ONG vient de publier un rapport d’évaluation de la nouvelle législation mettant en relief de nombreuses failles.
Force est de reconnaître, qu’après le 11 septembre 2001, les Etats ont introduit des mesures spécifiques antiterroristes dans leurs législations internes. Des dispositions qui témoignent clairement d’une propension croissante des Etats à sacrifier les droits humains et civils les plus fondamentaux au nom de la lutte contre le terrorisme et, parfois même, au nom de la « guerre globale contre la terreur », sans se soucier outre mesure des conséquences juridiques qu’implique l’utilisation de ce terme.
Malgré ce fort courant, les défenseurs des Droits de l’Homme ne lâchent pas prise.
En témoigne, la polémique que suscite ce projet de loi. C’est un véritable débat de société qui s’apparente parfois, à un bras de fer entre défenseurs des Droits de l’Homme et d’autres qui estiment qu’avec les terroristes on ne peut pas invoquer les « Droits de l’Homme ». Leur argument : le terrorisme ne respecte pas le droit élémentaire mais, ô combien sacré, de la vie. Certains crient haut et fort, même dans les médias, « qu’il ne faut pas invoquer les principes universels des Droits de l’Homme avec les terroristes, car ils ne le méritent pas ».
Des déclarations que la HAICA a considérées comme des « failles professionnelles dans la couverture des attentats du Bardo ». En d’autres termes, les médias n’ont pas le droit « éthiquement » de remettre en cause le système des Droits de l’Homme sur les ondes, ou encore à la télé. Et, il est vrai que l’attentat survenu le 18 mars dernier, contre le musée du Bardo, causant la mort de plus de 20 personnes, a remis au goût du jour, la question du respect des Droits de l’Homme. Cela a été d’autant plus perceptible que le gouvernement, sous le choc de l’attentat du Bardo, a accéléré l’adoption en conseil des ministres du projet de loi de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent, et l’a soumis à l’ARP. Un projet qui ne manque pas de susciter critiques et autres appréhensions de la part des organisations actives en matière de défense des Droits de l’Homme.
A ce titre, tout en reconnaissant l’urgence d’adopter une loi antiterroriste, eu égard à la situation sécuritaire et aux menaces qui pèsent sur le pays, Emna Guellali, directrice de l’organisation Human Watch Rights (HWR) Tunisie, a précisé que le projet n’est pas « mauvais », dans son ensemble.
Un projet, des réserves
« Ce n’est pas un projet catastrophique, affirme-t-elle mais, il présente néanmoins quelques défaillances en matière de respect des Droits de l’Homme, auxquelles il faudrait remédier ».
A cet effet, le rapport d’évaluation intitulé « Tunisie : Des failles dans le nouveau projet de loi de lutte antiterroriste », publié par HWR a été on ne peut plus clair. Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen Orient et Afrique du Nord de Human Watch Rights, a déclaré que « la Tunisie doit certes prendre toutes les mesures appropriées pour lutter contre le terrorisme et garantir la sécurité de ses citoyens, mais certaines dispositions du projet de loi risquent de mener à d’importantes violations des droits humains . Le respect des droits humains doit sous-tendre cette loi pour que les efforts de lutte antiterroriste ne restent pas vains ».
L’Etat de droit ou le chaos
La polémique suscitée par le projet de loi a pris une tournure inattendue. Les défenseurs des Droits de l’Homme se retrouvent au banc des accusés. Certains n’ont pas daigné à les discréditer, affirme Emna Guellali. Certains sont même allés jusqu’à nous accuser d’entraver la guerre contre le terrorisme voire même de faire l’apologie du terrorisme. Or, explique-t-elle, on oublie que la Tunisie dispose aujourd’hui d’une nouvelle Constitution qui garantit les Droits de l’Homme et que toutes les lois sont tenues de se conformer à la Constitution.
La question qui se pose : de quels droits parle-t-on avec des terroristes qui n’en respectent aucun ? Dans la lutte contre le terrorisme, les Droits de l’Homme peuvent-ils être bafoués ? Les Etats sont-ils capables de mener une guerre contre ce phénomène transnational en mettant de côté les principes universels ? Ou encore, jusqu’où peut-on aller dans la limitation des libertés pour préserver les vies des citoyens contre le terrorisme ?
Au regard des défenseurs des Droits de l’Homme, il est impératif de lutter contre ce fléau dévastateur. Cela ne doit, en aucun cas, se faire hors de l’Etat de droit. Car, à leur sens, l’Etat n’est pas une « mafia » hors-la-loi. Bien au contraire, l’Etat a des règles à respecter.
Dans le cas contraire, pense Emna Guellali, directrice de HWR Tunisie, l’Etat ne ferait que réaliser l’objectif des terroristes, celui de détruire la démocratie, l’Etat de droit et de faire régner le chaos.
Un avis partagé par Mehrzia Laabidi, député du mouvement Ennahdha, qui estime que la Tunisie est un Etat de droit et qu’à ce titre, elle est appelée à respecter les libertés fondamentales et les Droits de l’Homme.
« Certes l’équation est difficile dans le monde entier. Mais on tentera, tant bien que mal, de trouver des solutions pour lutter contre le terrorisme ». A ce titre, les députés au sein des commissions chargées d’examiner le projet de loi antiterroriste, ont écouté l’ensemble des parties concernées et veilleront, au moment de la discussion du projet, à trouver les équilibres nécessaires, a déclaré la député.
Un cadre pour agir en situation exceptionnelle
Les défenseurs des Droits de l’Homme sont dans leur rôle. Selon le Commission internationale des Droits de l’Homme, les rapports établis par la société civile, qui défend les Droits de l’Homme, dénoncent d’une part, les violations du droit international des Droits de l’Homme par les mesures antiterroristes, précisant que les obligations sont directement bafouées par ces dernières. Les transgressions les plus graves comprennent les détentions arbitraires, la torture, les violations du droit à la vie, du droit à un procès équitable, impartial et indépendant, les violations du droit à la liberté d’expression, à une vie privée et du droit de propriété, ou le refoulement des demandeurs d’asile et l’expulsion des immigrés suspectés de prendre part à des activités terroristes vers des pays où ils sont susceptibles de subir la torture ou des traitements cruels, inhumains et dégradants.
D’autre part, ils rappellent aux Etats et à tous les acteurs impliqués dans l’élaboration de législations antiterroristes que le respect des droits humains n’est pas seulement nécessaire pour établir ces politiques, mais est également compatible avec la lutte antiterroriste. Or les obligations internationales dans le domaine des Droits de l’Homme sont souvent considérées comme une entrave à la lutte contre le terrorisme.
En outre, les traités et la jurisprudence en matière de Droits de l’Homme, qu’ils soient internationaux ou régionaux, prévoient des solutions concrètes et des cadres juridiques clairs dans lesquels les Etats doivent agir lorsqu’ils font face à ces situations exceptionnelles et urgentes. Selon ces doctrines, bien établies et réaffirmées, les Etats ont la possibilité d’adopter des mesures exceptionnelles et temporaires dérogeant ou limitant les Droits de l’Homme.
Que la lutte contre le terrorisme se poursuive dans le cadre d’un conflit armé ou en temps de paix, qu’elle soit dirigée contre des membres de forces armées ou contre des civils, le droit international a notamment pour rôle de garantir la jouissance d’un minimum de droits fondamentaux, auxquels on ne peut déroger le cas échéant que dans un cadre prédéfini, reconnu à toute personne impliquée dans cette “croisade” contre le terrorisme.
Le débat reste entier et la question reste posée: l’anti-terrorisme à l’épreuve des Droits de l’Homme ; une compatibilité est-elle possible ? La question demeure sans réponse claire. C’est à l’Assemblée des Représentants du Peuple, de trancher lors de l’examen du projet de loi de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent.