Par Aïssa Baccouche
Le 27 novembre 1967, j’avais les yeux rivés sur la petite lucarne dans le sous-sol de la maison de Tunisie à Paris. En tendant les oreilles aux propos du Général de Gaulle au cours d’une de ses conférences de presse que j’affectionnais, il prononça cette phrase qui allait faire le tour de la terre : « Certains redoutaient que les Juifs, jusqu’alors dispersés mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles. »
Moi, qui suis natif d’un village œcuménique, l’Ariana, et de surcroît lieu de naissance de Sidi Mehrez, l’apôtre de la tolérance avec les coreligionnaires de Moïse, je me souviens avoir, en mon for intérieur, mis un bémol à ce jugement gaullien.
D’ailleurs, Alain Peyrefitte (1925-1999) a dû, dans son livre C’était de Gaulle, paru en 2000, atténuer l’envolée de son illustre mentor : « Quant aux très célèbres qualificatifs, ah ! qu’il eût aimé qu’on pût les appliquer au peuple français ! » p. 283.
Quant à l’État d’Israël, c’est une tout autre affaire. Certains pourraient rétorquer, en se référant au lexique vernaculaire, par cette expression tautologique : « Si ce n’est pas El Haj Moussa, c’est Moussa El Haj. » Voire.
Il s’agit d’une création ex nihilo encensée par les Nations Unies en 1947, bien qu’il y eût une spoliation d’un peuple bien ancré dans sa terre depuis des lustres.
Les Palestiniens ont dû soit partir, soit subir la loi d’un État qui se réclame hébraïque, l’unique au monde. Loin de lui peser, cette solitude constitue le ferment de son arrogance.
Peu lui importe d’être haï par ses voisins, il lui suffit d’être craint urbi et orbi.
D’autant plus que l’Occident, dont il est la tête de pont en Orient – il ne s’en cache guère – lui assure une sorte d’assurance-vie.
Tous ses faits et méfaits d’armes sont absous. Il peut allègrement se soustraire à toutes les résolutions de l’ONU et de ses corollaires. En somme, un État hors-la-loi !
La connivence des médias français est tellement flagrante qu’il suffit de lire les suppléments littéraires des grands quotidiens parisiens pour s’apercevoir de la rémanence de la Shoah à travers les parutions récentes en librairie.
Pourtant, des esprits libres israéliens n’ont cessé de mettre en garde leurs dirigeants pour calmer leur ardeur meurtrière.
Le philosophe Leibowitz (1903-1994), pourfendeur de la mentalité judéo-nazie, a souvent affirmé : « Notre problème dans l’État d’Israël, ce n’est pas de libérer les Palestiniens, mais d’arriver à libérer les Israéliens de cette domination maudite reposant sur la violence. »
Albert Einstein (1879-1955) avait bien repoussé en 1952 l’offre de présider aux destinées de cette garnison-État. Une citadelle assiégée ne pouvait convenir au théoricien de la relativité.
Celui qui osa signer, le 9 septembre 1993, un traité de paix avec les Palestiniens signa son arrêt de mort. Ishak Rabin (1922-1995) a justement payé de sa personne le 4 novembre 1995, par le truchement de l’extrémiste Yigal Amir. L’ex-président Bill Clinton écrit dans son livre autobiographique Ma vie, paru chez Odile Jacob en 2004, p. 574 : « Quand j’ai demandé à Rabin pourquoi il avait accepté de soutenir les pourparlers d’Oslo, il m’a expliqué qu’il s’était rendu compte que le territoire qu’Israël occupait depuis 1967 était devenu une zone d’insécurité, et que nous occupions un territoire peuplé de gens en colère, ce qui le rendait vulnérable. »
La dette de l’Europe envers Israël est, paraît-il, inextinguible. Le chancelier allemand Merz vient de jubiler : « Israël fait le sale boulot pour nous. »
Au moment où Israël assume ses attaques en premier contre l’Iran, M. Macron monte au créneau pour assurer « qu’il se rangera aux côtés des agresseurs s’ils sont attaqués ». Comprenne qui voudra !
Dans de pareilles circonstances, la France du général de Gaulle parlait d’une autre voix.
Lors du Conseil des ministres du 21 juin 1967, le plus illustre des Français, qui gît à Colombey-les-Deux-Églises, tint ces propos rapportés par Peyrefitte dans son livre cité plus haut, p. 281 : « Nous avons donné tort aux Israéliens, qui ont ouvert les hostilités. Nous tenons pour nuls et non avenus les résultats militairement obtenus sur place. Faute de quoi, si l’on avalise ces actes de guerre, on va à la guerre mondiale. »
Ah ! qu’elle était jolie, la France de mes vingt ans. Jolie et cartésienne.